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Où atterrir ? est une expérimentation artistique, scientifique et politique

qui propose a des citoyen·nes, des agent·es de la fonction publique et des élu·es de mener l'enquête sur leur terrain de vie à partir de leurs attachements : ce à quoi ils tiennent et qui les fait tenir.

Carnet d'atterrissage

Le Collectif Rivage, créé à Bordeaux en 2020, réunit des artistes et des scientifiques.

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Carnet d'atterrissage

A la manière d'un carnet de bord, l'équipe du Collectif Rivage a documenté le bourgeonnement de l'expérimentation "Où atterrir ?" entre 2021 et 2023.

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Atelier 5

Revitaliser le cercle politique

Où atterrir ? est une expérimentation artistique, scientifique et politique

qui propose a des citoyen·nes, des agent·es de la fonction publique et des élu·es de mener l'enquête sur leur terrain de vie à partir de leurs attachements : ce à quoi ils tiennent et qui les fait tenir.

La démarche associe les pratiques artistiques et cartographiques aux méthodes d'enquêtes pour redéfinir le territoire à partir des dépendances et revitaliser le cercle politique dans un contexte de mutation climatique.

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1 — accueil convivial des participant.es 

> 15 min avec toute l’équipe

 

Autour d’une boisson avec des biscuits ou des fruits pendant lequel on échange et on se met à l’aise avant de commencer l’atelier.

 

2 — cercle des prénoms

> cercle des prénoms

 

+ Une première personne sonorise son prénom avec un geste.

 

+ Tout le monde reprend, collectivement, en même temps et le plus précisément possible, le geste et le prénom de la première personne.

 

+ On recommence pour chacun.e jusqu’à boucler le cercle des prénoms.​

 

3 — présentation du programme de l’atelier

> 5 min animé par Maëliss Le Bricon

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On retire nos chaussures, on laisse toutes nos affaires au bord du plateau et on vient s’asseoir sur les chaises en cercle autour de la boussole tracée au sol. Les membres de l’équipe et les participant.es sont mélangé.es.

 

Avec ce bourgeon, nous explorons deux étapes que le projet pilote n’a pas eu le temps de valider. 

 

+ La première étape, dont nous avons parlé hier avec Bruno Latour et Vinciane Despret, porte sur l’enquête et la puissance d’agir. En effet, la demande initiale du projet était de redonner des capacités d’expression et d’auto-description aux citoyen.nes, afin de sortir de l’indignation et des passions tristes pour partir en enquête formulée à partir d’une auto-description très précise sur notre terrain de vie. Ensuite, comment faire pour déployer cette enquête avec d’autres, qui sont ces personnes-ressources ? En quoi le processus d’enquête augmente la puissance d’agir des citoyen.es-expert.es et participe à la résolution du problème ? Et à partir de là, se mettre en action et peut-être résoudre le problème grâce à des alliances, et peut-être, si nécessaire, construire une doléance et s'adresser à une institution.


 

+ La seconde étape que nous abordons ce matin porte sur ce processus de doléance. C’était l’autre commande de cette expérimentation : redonner des capacités d’écoute aux institutions, à l’administration. Si une doléance se formule au terme d’une enquête, comment faire pour que les institutions et les administrations collaborent sur ces doléances ? Vinciane Despret a proposé qu’on appelle ce processus “doléancer”. Comment est-ce qu’on doléance ? Tout ça est à créer et expérimenter ensemble. Comment on déploie ici de nouveaux protocoles, comment on sort des formes anciennes du mail, du formulaire ? Comment on fait souffler les pratiques de “Où atterrir ?” dans les institutions pour redonner aussi aux administrateurs des capacités d’écoute pour doléancer avec nous sur ces nouveaux problèmes ? Nous allons poursuivre la description au sein des administrations, puisque l’on va baguer la doléance, comme on bague un oiseau, pour voir comment est-ce qu’elle se transforme dans tout ce processus de l’action publique. Et quand elle revient dans la situation initiale de la personne qui avait porté la doléance, qu’est-ce qu’il se passe ? Le problème initial est-il résolu ? 

 

Ce sont les grands objectifs de départ de l’expérimentation que l’on va pouvoir finaliser ensemble. Ce chantier est rendu possible grâce à l’appel à défis “Pour une action publique co-construite avec les usagers et les agents” lancé par la Direction Interministérielle de la Transformation Publique dont nous avons appris que nous étions lauréats cet hiver. 

Nous pourrons continuer les ateliers jusqu'en juin 2023 pour explorer cette dimension de la doléance avec ceux qui ressentent le besoin, l’envie, dans le cadre de leur enquête, d’aller doléancer et d’explorer cette dimension.

 

Ce matin, nous avons la chance de pouvoir échanger avec Bruno Latour sur le cercle politique qui nous permettra d’avancer ensemble sur ce nouveau

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4 — réveil des sensations physiques

> 10 min animé par Séverine Lefèvre / Valérie Philippin 

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+ On se met debout, toujours en cercle et chacun.e commence par masser sa paume de la main droite avec sa main gauche puis la pulpe de chaque doigt. On passe au bras droit qu’on pétrit comme une pâte à pain. On remonte le long du bras petit à petit, puis on arrive à l’épaule où on retrouve souvent des tensions dans le trapèze. On va essayer de décoller le trapèze vers le haut en le pinçant avec toute la paume de la main. Si on baille, c’est bon signe, on laisse aller. Puis on recommence à partir de la main gauche que l’on masse et à partir de laquelle on remonte jusqu’au trapèze gauche. On profite de chaque contact pour respirer et pour sentir chaque mouvement.

On s’occupe du bas du dos, des lombaires que l’on frotte et que l’on tapote avec les poings puis on remonte le long du dos en faisant sortir la voix.

 

+ On se frotte chaque jambe qu’on réchauffe. On prend chaque cuisse qu’on fait rouler avec les deux mains. Puis on pose les mains sur les genoux, pour sentir la chaleur de chaque paume, on reste comme ça quelques secondes. On descend jusqu’aux pieds, qu’on frotte, tapote et gratte.

 

+ Puis on se relève progressivement jusqu’à retrouver la verticalité. On frotte et on claque légèrement nos doigts près de nos oreilles les yeux fermés, et on écoute, on écoute juste. On frotte ensuite les deux mains, que l’on place contre chaque oreille en creux. On le fait une seconde fois, on écoute et on profite de ce petit bain, de ce réveil.

 

+ On laisse les bras descendre le long du corps et on s’ancre dans le sol pour sentir comment la région lombaire peut s’ouvrir à chaque respiration. 

 

+ Entre nos deux mains, on imagine une immense feuille de papier qu’on voudrait compresser pour en faire une toute petite boule de papier compressée entre nos mains : ça demande un effort, il y a une densité, jusqu’à obtenir la boule de papier compressée. Et dès qu’on l’a, on souffle et on la lâche.

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Présentation extraite de la conférence de Bruno

Latour pendant le projet-pilote mené avec le consortium "Où atterrir 2019-2021.

5 — geste-chant

> 5 min animé par Valérie Philippin

 

+ Je vais maintenant inspirer et passer un geste-souffle à mon/ma voisin.e qui va à son tour passer un geste-souffle jusqu’à boucler le cercle.

 

  • Le geste-souffle fait le tour du cercle, chacun.e se le passe de proche en proche. A la fin du cercle, l’artiste-médiatrice récupère le geste-souffle, et l’envoie au centre du cercle.

  • On fait la même chose, en partant dans l’autre sens et cette fois-ci avec un geste-son. On n’oublie pas d’inspirer quand on reçoit le geste-son. Le geste-son fait le tour du cercle. A la fin, l’artiste-médiatrice le récupère, et le met dans sa poche, bien au chaud.

    • On recommence dans l’autre sens : cette fois on propose une forme chantée, qui ne doit jamais s’arrêter. Chanter : chacun.e fait ce qu’il veut là où il est. L’idée est qu’on attrape le son de l’autre, on peut tuiler, de façon à ce que la phrase ne s’arrête jamais, elle ne doit pas tomber. On prend notre temps, on peut faire une phrase plus ou moins longue, que l’on peut développer si on le sent avec des silences si besoin. L’idée, c’est qu’entre deux personnes, il y ait toujours un tuilage. Le chant fait le tour du cercle, et l’artiste-médiatrice le récupère à la fin du cercle.

 

+ Maintenant, on va faire la même chose, mais les yeux fermés. 

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6 — écho dans la montagne

> 5 min animé par Valérie Philippin / Maëliss Le Bricon

 

+ L’artiste-médiatrice joue le rôle de la bergère et se place face à un demi-groupe de participant.es, comme si elle était face à une montagne. Elle propose une forme vocale improvisée courte (avec peu d’éléments différents) et le demi-groupe répond en écho, deux fois ou trois fois. Elle propose de grands contrastes entre chaque proposition. Pendant ce temps, l’autre demi-groupe écoute en face, les yeux fermés. 

 

+ Puis on alterne les groupes, la bergère se retourne et propose une forme vocale à l’autre demi-groupe. On alterne action et écoute, deux ou trois fois avec chaque groupe.

 

+ Si on a le temps, on propose à qui veut faire le berger ou la bergère


Notes : L’idée c’est l’écho : reproduire c’est faire la même chose, et imiter c’est s’approprier. L’important n’est pas de reproduire à l'identique, mais de voir comment on peut  tou.tes s’emparer d’un son, comment on recompose quelque chose ensemble qui fait écho.

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Texte extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021.

7. 8. 9 : Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Ces exercices ont été proposé et animé par Chloé Latour de S-Composition et sont issus des pratiques de SITI Compagnie

7 — le cercle politique

> 1h animé par Bruno Latour

 

Bruno Latour : “C’est l’occasion d’aller un peu plus loin dans les hypothèses dont nous étions partis au début de Où atterrir?. Je rappelle que l’idée initiale c’était d’essayer de couvrir, ou de compléter, de résoudre cette situation qui était celle, en gros venant des gilets jaunes, c’est-à-dire d’une impression que ni l’expression politique par ceux qui exprimaient leurs souffrances, ni la réception de ses plaintes et de ses doléances, par disons les participants, n’étaient compris, par disons la puissance publique au sens très large, en mettant là-dedans à la fois les élus, les administrations, l’État, etc... Et donc ce qui nous a intéressé c’est d’essayer de comprendre : Pourquoi ? Pourquoi est- il devenu si difficile à une expression politique d’être entendue par les puissances publiques et inversement ? Pourquoi est-ce que quand les puissances publiques au sens très large du terme, les autorités disons, proposent des solutions, offrent des systèmes divers et variés, ils ne sont pas forcément compris ? Et surtout ce qui est tout à fait étonnant c’est que l’impression d’abandon par les citoyens, ordinaires disons, ne diminue pas malgré l’énorme travail fait par les administrations, les élus, etc…Donc on a l’impression qu’il y a deux incompréhensions qui s’ajoutent : l’une à l’émission de la doléances et l’autre à la réception de la doléance. Et donc ce qui nous a intéressé c’est de comprendre comment on pouvait reprendre ce mouvement, ce que j’appelle le cercle politique. Pour ça évidemment, ça suppose beaucoup de choses. 

 

La première chose qui est tout à fait surprenante, c’est que ça suppose des citoyens qui s’intéressent à la chose publique à l’ancienne, c’est-à-dire comme on pouvait l’imaginer dans les années 80, c’est-à-dire des citoyens qui savent suffisamment bien, en gros, ce qu’ils peuvent attendre de la puissance publique pour s’exprimer d’une façon qui soit audible par cette puissance publique, par ses autorités.

Or comme on le voit par l’énorme pourcentage d’abstention en ce moment, même l'abstention prévue pour la présidentielle, en tout cas aux dernières élections, c’était très clair, cette évidence qu’il y a des citoyens qui expriment leur volonté et qui l’annoncent à des puissances publiques, qui en gros comprennent à peu près de quoi il s’agit et sont capables de réagir par des mesures qui sont elle-même à peu près compréhensible par ceux qui au début de la doléances l’avaient exprimés. Et bien cette hypothèse, cette supposition, on ne peut plus l’assurer. C’est-à-dire que la production de citoyens, disons le citoyen à la Rousseau, le citoyen qui s’intéresse à la chose publique et qui y participe, il faut maintenant l’aider à le faire émerger parce qu’on ne peut pas supposer qu’il existe d’emblée. Alors évidemment, c’est toute l’histoire de France qu’il faudrait faire pour comprendre pourquoi l’émergence de ce citoyen ; il faudrait parler de la révolution française…etc. Bref ce sera une très très longue histoire. 

 

Mais ce qui est sûr c’est qu’en ce moment on ne peut pas compter, c’est pour ça que les systèmes de participation d’interrogation du public, de mobilisation, ont toujours la tendance à être un peu décevante, c’est parce que c’est très compliqué en fait d’obtenir l’espèce d’évidence de citoyens à la Rousseau qui s’intéressent à la chose publique. Et réciproquement, cette chose publique est tenue par des experts, des fonctionnaires, des élus, qui entendent, qui comprennent et qui peuvent réagir de façon assez rapide aux doléances de ces mêmes citoyens.

 

La raison (alors maintenant je passe à l’hypothèse qu’on a fait dans Où atterrir ?), l’hypothèse c’est que l’expression politique, les formes d’expression politique spontanée que l’on trouve si on assemble des gens et qu’on leur dit : qu’est-ce que vous pensez ? Quelles sont vos opinions sur tel ou tel sujet ? Ces formes correspondent à un certain état des questions politiques, en gros pour simplifier, d’avant la crise écologique, c’est-à-dire un certain nombre d’attitudes, de réactions, d’affects, qui sont alignés sur des questions qui correspond aux questions sociales telles qu’elles ont été travaillées par les partis socialistes, populistes, libéraux, extrêmes, depuis la guerre.

 

Mais maintenant le problème, c’est que les questions que nous avons abordées comme vous le voyez hier, comme vous le voyez dans l’enquête et dans les boussoles, ne sont plus de la même qualité, de la même composition que les sujets qui étaient ceux pour lesquels on savait à peu près comment se comporter quand on était un citoyen intéressé à la chose publique dans les années 80 ou 90. Pourquoi ? Parce que comme on l’a vu, comme on le voit à chaque fois qu’on fait des enquêtes, et comme vous le savez tous très bien maintenant ; parce que les êtres ou les entités avec lesquels nous devons compter sont beaucoup plus larges que les êtres qui composaient le monde social auparavant, ils ne rentrent pas forcément dans le cadre national régional ou local, ils ont des métriques qui sont tout à fait variées en fonction des sujets. 

 

La question des forêts, la question de l’architecture, la question des fleuves, la question du climat la question de la disparition de telle ou telle espèce la question de telle pollution n’ont pas les mêmes dimensions, ne supposent pas les mêmes alliances ne permettent pas de trouver tout de suite quelles sont les personnes concernées… etc. 

Je ne parle pas de la globalisation qui complique évidemment encore plus les réseaux d’appartenance que nous essayons de reconstituer. Donc la situation tout ça c’est des hypothèses de départ ! Nous ne travaillons que sur des hypothèses, elles peuvent se trouver être falsifiées, on peut s’être trompé.

 

Enfin l’hypothèse dans laquelle on rentre c’est celle-là : une déperdition, une perte de contacts entre l’expression de la doléance et qui s’exprime surtout sous forme d’indignation et ce qu’on peut appeler une série de passions tristes parce qu’elle n’aboutissent pas à des solutions qu’on reconnaît comme comme telles ; et de l’autre côté à la réception une puissance publique inquiète d’elle-même et qui ne sait pas trop comment réagir ou qui réagit de façon incertaine.

 

Donc comment résoudre cette question ? Les hypothèses vous les connaissez : on ne discute pas d’opinion politique ; c’est un point de doctrine qui nous a beaucoup intéressé, parce que si on si on veut modifier la façon dont on parle du politique et se redonner des affects ajustés à cette nouvelle situation où il y a des êtres nouveaux (disons en gros les êtres naturels, bien que ce n’est pas le bon terme) et en même temps pouvoir les intégrer dans le travail normal du politique de doléances et de solutions, de trouver des solutions aux problèmes, il faut suspendre un certain nombre d’habitudes de parole, d’habitudes de positionnement, et surtout d’habitudes d’adresse. 

 

C’est-à-dire que lorsque l’on fait une assemblée politique dans les termes qui sont ceux des années 80-90, on va s’adresser à un être qui est supposé être capable d’agir (en gros en France c’est surtout l’État) ; or comme le savent parfaitement les fonctionnaires qui sont ici et les élus aussi bien, cet État qui a existé dans les périodes précédentes n’existe plus. Vous avez vu l’extraordinaire dérive récente des cabinets de conseil. Ça veut dire que même pour des fonctions absolument normales de l’État, et bien l’État n’en a plus les capacités, et n’a cessé de se réduire au nom d'une étrange version du libéralisme.

C’est pour ça que l’expression qui est faite de plainte ou de doléance à l’émission rencontre une espèce de vide et s’adresse à un État supposé capable d’agir qui n’a plus aujourd’hui d’existence. 

 

Donc d’une part, les affects et les habitudes de parler politique ne sont plus ajustées, l’adresse qui est faite à un Etat, il n’est plus là cet État, donc ce n’est plus la peine d’espérer qu’il va agir. Et le genre de sujet de préoccupation que vous avez tous dans vos descriptions est nouveau, intègre une multitude d’êtres, une multitude d’entités, qui n'étaient pas habituelles.

 

Donc voilà c’est ça la situation : c’est pour ça que les techniques, un peu bizarre, il faut le reconnaître, que nous vous proposons ont pour but de suspendre l’expression politique mais pour en retrouver une nouvelle dans lequel le cercle politique, c’est-à-dire à l’émission et à la réception, le cercle puisse se boucler. Ce qui suppose l’apprentissage de nouvelles pratiques d’expression politique qui, comme vous le savez, inclut les arts, la musique, toutes les choses que nous avons ajoutées dans ce protocole qui paraissent étranges mais dont je crois que vous comprenez bien le sens maintenant. S’il s’agit de changer, de faire basculer les habitudes politiques qui étaient adaptées à un certain monde mais que ce n’est plus le monde dans lequel nous vivons, c’est justifié de les rebâtir brin à brin. Voilà le premier point que je voulais souligner.

 

Donc je passe à mon deuxième point. Le deuxième point est peut-être, pour un dimanche matin, plus philosophique 

 

Les habitudes que nous avons en France en tout cas pour parler de ces questions du cercle politique viennent d’une tradition vénérable inspirée de Rousseau, de Montesquieu etc. inspirée de Hegel, toute une série de choses, où la volonté générale, l’expression du bien public, est en quelque sorte donné d’avance par le fait même que les fonctionnaires, les élus la représentent. Et donc, comme on dit, ils incarnent la volonté générale, ils incarnent le bien public. Ce qui est un drame, parce que ça veut dire que dès qu’un maire est élu, dès qu’un élève de Sciences-Po est arrivé à l’ENA, il sent sur ses épaules l’onction de la volonté générale qu’il représente désormais jusqu’à sa retraite et même au-delà. Dans cette tradition, c’est le fait d’avoir un Etat qui définit la volonté générale. Ce n’est pas la tradition philosophique dans laquelle nous avons inséré le projet Où atterrir ?.

 

Nous appartenons, enfin j’appartiens, et donc je propose une autre tradition qui est celle venant des États-Unis d’Amérique (pas les États-Unis d’Amérique actuels évidemment) mais des années 30, c’est-à-dire la grande tradition qu’on appelle pragmatiste mais il ne faut pas se tromper sur le sens du mot, on le précisera peut-être dans les questions, qui est celle dans “Le public et ses problèmes” c’est-à-dire John Dewey, auquel j’ajoute son ami-ennemi, Walter Lippmann, qui me paraît d’un grand intérêt.

 

On va faire cinq minutes de philosophie si ça ne vous ennuie pas parce que je pense que c’est intéressant pour comprendre l’esprit de l’affaire. Le livre de Dewey s’appelle “Le public et ses problèmes” et tout est dans le titre ! Arriver à définir le public, les intérêts du public, arriver à définir la volonté générale, ce n’est pas donné. Ce n'est pas donné à un fonctionnaire, ce n’est pas donné à un élu, ce n’est pas donné à un citoyen expert qui se plaint. C’est précisément le problème de faire émerger ce public à chaque fois sur des sujets différents, et c’est là le grand intérêt de faire des enquêtes dont on parlait hier autour de ce qu’on appelle en anglais “ issues”, c’est-à-dire des sujets de préoccupation, des affaires, et c’est autour de ses affaires que l’on ne peut pas résoudre soi-même individuellement, que se constituent des débuts de public.

 

La grande différence entre les deux modèles, c’est que dans un cas, le modèle disons européen, continental, la puissance publique sait ou du moins croit savoir de quoi est fait l’intérêt général. Dans l’autre tradition, la pragmatistes, celle dans laquelle nous nous insérons, ce public et cet intérêt public doit être explorer : explorer par des enquêtes qui concernent aussi bien les citoyens de départ qui sont attachés ou concernés par l’affaire en question (une inondation, un scandale quelconque, un problème - évidemment à l’époque de Dewey on ne parlait pas encore de problèmes écologiques) et qui cherchent à construire autour de cette affaire un groupement, un public (c’est ça que le mot public veut dire), un public adapté. 

 

La grande différence (l’autre grande différence) c’est que dans le système dans la version pragmatistes, les fonctionnaires au sens large (ça peut être aussi bien les élus que les fonctionnaires) ceux à qui on a délégué la tâche de s’occuper à plein temps d’une affaire un peu compliquée (une affaire de gestion d’une rivière, une question d’urbanisme un problème de pollution, etc) sont extrêmement susceptibles de se tromper. Pourquoi ? Parce que dès qu’on leur délègue la tâche de s’occuper à plein temps de ses affaires, ils vont s’occuper, non pas du tout de la chose publique, mais de leurs intérêts particuliers. Il faut donc les tenir très serrés pour qu’ils continuent à être les représentants (cette fois-ci au sens très pratique, alors là on est dans le pragmatisme au sens très classique du terme) pour empêcher (c’est l’expression de Dewey) qu’ils se corrompent.

 

La phrase de Dewey (une phrase importante à connaître) c’est que l’État est toujours à recomposer : “State is always to be remade”. Ce qui n’est pas du tout une version continentale française ou européenne dans lequel on considère que l’Etat a par nature la capacité d’embrasser la totalité des intérêts et dès qu’on voit un fonctionnaire, un élu, un président de la république, sort de sa bouche l’intérêt général. Pas du tout dans la version qui nous intéresse ! Peut sortir de sa bouche l’intérêt général, à condition qu’il y ait des publics qui se constituent, affaire par affaire, autour de ces questions, et qu’ils tiennent serré (le cercle, là, doit tourner très vite) leurs représentants.

 

Donc c’est pour ça que le livre de Dewey s’appelle “Le public et ses problèmes” parce qu’arriver à définir la chose publique, c’est un problème, ce n’est pas du tout une évidence, ce n’est pas parce qu’on a fait l’ENA qu’on connaît la chose publique. 

L’enquête, et c’est évidemment le grand thème que nous vous proposons sous le mot enquête, c’est un terme utilisé par Dewey au cœur de la question politique, c’est par l’enquête collective que des citoyens concernés d’abord qui entrent dans une affaire parce que cette affaire les saisie ou les concerne ou qu’ils en souffrent, composent un début de public. Et de proche en proche en font une affaire qui est une affaire représentée dans les instances à des échelles tout à fait différentes selon les systèmes politiques (évidemment en Amérique c’est très différent de chez nous).

 

Alors pourquoi c’est important en ce moment ? (si vous n’avez pas oublié pendant ce moment philosophique mon premier point) C’est parce que c’est précisément quand il y a des nouveautés dans la définition des questions des affaires, des “ issue” (nous on utilise le mot concernement mais il n’est pas très beau, mais il est commode), c’est précisément quand il y a une nouveauté dans ces concernements que la question de douter de la capacité et des citoyens expert à s’exprimer politiquement et des administrations et de la puissance publique à les écouter et à agir politiquement est nécessaire. 

 

Autrement dit, s’il y a un moment où il faut être pragmatiste, c’est au moment où on change de cosmologie. Comme on le fait en ce moment, parce qu’on parle de nouveaux êtres qu’on essaye de faire rentrer dans la chose publique, et c’est ce que nous essayons de faire avec vos enquêtes et avec vos descriptions : c’est le principe des ateliers “ Où Atterrir ?”. 

Je ne crois pas qu’on puisse pratiquer les ateliers “Où Atterrir ?” dans la version continentale - européenne où la puissance publique, par définition, par droit de naissance en quelque sorte, saurait ce qu’il en est de la chose publique. A tout fonctionnaire dirait Dewey, à tout élu, on peut dire “vous ne pouvez pas savoir ce qu’est la chose publique sans enquêter, et nous, les citoyens experts, (on en a parlé hier avec Vinciane), nous sommes des parties prenantes de cette enquête collective dont vous ne pouvez pas vous passer malgré ce que vous dites”. Vous voyez l’intensité de la définition pragmatiste.

 

Ce qui me permet de faire un tout petit codicille dans mon deuxième point, qui est important à comprendre. Parce que dans la tradition française particulièrement, s’ajoute une difficulté à toute solution de parole politique qui est cette idée qu’une position radicale est plus intéressante qu’une position accusée d’être réformiste. Et donc, comme vous le savez, ceux qui sont en position de pouvoir, ceux qui ont eu affaire à des parties politiques, disons maintenant plutôt à l’extrême droite qu’à l’extrême gauche, être radical fait partie de la définition du politique et donc rend l’opération du cercle un peu compliquée, parce que précisément, participer à des décisions, participer à des débats, essayer de trouver des solutions, est considéré évidemment comme une trahison des idéaux. A gauche, ce serait plutôt révolutionnaire, à l’extrême-droite, ce serait plutôt identitaire, mais enfin la solution est la même vous la connaissez. 

 

Or l’intérêt de la tradition pragmatiste, c’est qu’elle est radicale mais dans un autre sens : elle est radicale parce qu’elle suppose que la question du bien public, la question de l’intérêt général est une énigme qu’il faut résoudre par une enquête. Donc ça permet aussi de rediriger les affects qui sont assez nécessaires dans notre tradition, ces affect qui exigent la radicalité (mais évidemment ses affect n’aboutissent jamais à rien sinon à des arrêts de discussion), vers une dynamique qui est que précisément, parce que l’on construit autour d’une affaire et d’un concernement un début de public qui commence par le travail de l’enquête à constituer son intérêt et découvre son intérêt (il n’y a rien qui définit l’intérêt) qui donc du coup trouve ses amis et ses adversaires. C’est précisément la dynamique qui, elle, est extrêmement exigeante, elle est très radicale, mais dans un tout autre sens que la radicalité telle qu’on l’imagine en Europe, qui est une radicalité d’expression, une radicalité de pose, mais pas de radicalité de contenu. Alors que le pragmatisme de Dewey est une radicalité de contenu, c’est-à-dire : arriver à exprimer et à trouver la chose publique qui est la chose la plus difficile qui soit, mais ça n’est évidemment pas une radicalité de contenu. Toutes les attitudes, tous les affects, y compris les plus modérés comme les plus extravagants, peuvent fonctionner, ce n’est pas la question. C’était mon deuxième point. Fin de la petite parenthèse philosophique.

 

Le troisième point porte sur une question qui est très étrange : c’est que la production de ce cercle politique est extrêmement difficile. Pourquoi ? Mais pour une raison qui est fondamentale et qui a été à la fois étudiée par la philosophie politique et en même temps, précisément, (c'est pour ça qu'on fait des ateliers) pour une raison qui n’est jamais vraiment suivie de proche en proche. Maëliss et Loïc proposent d'ailleurs une façon de tracer ce cercle politique et ses difficultés qu'ils appellent “baguer”, comme on fait pour les oiseaux, on bague. 

 

Pourquoi est-il difficile ? Pour une raison que tout le monde comprend : vous avez une Assemblée qui commence à comprendre quelque chose d'une affaire qui est généralement une controverse dont on peut faire la cartographie. Vous avez, je sais pas moi, 50 parties prenantes qui ont des intérêts différents, qui doivent être représentées. Quand ils sont représentés, ils sont représentés par une femme ou un homme pour aller à une autre échelle dans la suite des opérations, et cette femme ou cet homme va dire des choses qui sont évidemment différentes de ce qui a été dit, il ne va pas accumuler les 50 paroles successives : il va les agréger, traduire, résumer, synthétiser, transformer, trahir, modifier, bref, c'est toute une énorme et très compliquée cuisine de la représentation qui, si l'on n'y prend garde, peut devenir une trahison complète. 

 

Mais en même temps, si vous demandez à cette personne, femme ou homme, de dire exactement ce que vous, chacun de vous, en votre for intérieur, vous pensez, c'est évident que ce ça va pas marcher. La représentation, par définition, est une transformation très profonde de ce qui est dit.

 

Mais ça continue ! Supposons que cette femme politique se retrouve maintenant à un autre niveau avec une quinzaine d'autres responsables : ça va encore se transformer. Ça va se transformer, et là ça va soit se perdre dans les sables soit, et c'est là tout l'intérêt de boucler le cercle, soit sous la forme d'une décision. Ça peut être un maire qui prend la décision de résoudre le problème que vous avez tenu, ça peut être à des échelles différentes, ça peut être d'ailleurs à toutes les échelles, ça peut être aussi bien familial presque, ça peut être dans une entreprise, ça peut être dans un club, ça peut être dans un groupe de scouts. L’échelle n'a pas d'importance. Le cercle par contre, il est toujours visible. Des représentants résument, trahissent, transforment ce que disent d'autres et néanmoins essayent de leur être fidèle. Ça, c'est le cercle à la montée, c'est à dire quand il part de l'intérêt des discussions, des inquiétudes, des indignations, des violences, des colères, des souffrances, des gens concernés et qu'il monte vers quelque chose qui sont les institutions, les administrations et aux besoins en tout cas, les solutions institutionnelles qui ont été trouvées pour résoudre ces questions

 

Mais ensuite, une fois qu'il est là, la décision, elle revient, et là, c'est le retour du cercle. Au retour, il est évident que quand une décision a été prise, elle est elle-même transformée, traduite, modifiée, trahie éventuellement par ceux qui sont supposés l'appliquer. Si vous êtes chef d'entreprise et que vous imaginez que les ordres que vous donnez sont appliqués, si vous êtes prof dans une classe et que vous imaginez que les élèves vont suivre ce que vous dites, si vous êtes président de la République et que vous imaginez que du moment que vous envoyez telle ou telle autorité et que les gens vont appliquer ce que vous dites, là, évidemment, aucun sens, les pertes en ligne, les transformations au retour sont aussi considérables que celles à l'aller. 

 

Donc le problème du cercle politique, c'est pour ça que la politique c'est difficile et qu'on l'a beaucoup trop simplifiée, c'est très difficile la politique, parce que à la montée comme au retour, il y a des transformations tellement nombreuses qu’on peut tout simplement considérer que tout le travail de la représentation a été perdu entre-temps. Vous avez beau dire “mais j'ai dit exactement ce que vous avez dit, mais si j'étais très fidèle, j'ai représenté ce que vous avez dit” à l'aller ou au retour, vous pouvez dire “mais enfin, on a décidé ensemble donc maintenant faut bien que vous appliquiez ce qu'on a décidé” : rien n'y fait parce que la nature même de l'existence publique fait que les intérêts se dispersent, et que le travail de la représentation, c'est là une des exigences fondamentales du politique, doit être repris, parce que il ne faut pas le faire simplement une fois. Si vous arrêtez de le faire, plus personne ne travaille.

 

Comme la politique a été suspendue ; c'est ça qui nous intéresse, si vous suspendez ces habitudes-là, produire les intérêts publics, produire les publics associés aux différentes issues, apprendre à respecter la diversité et la complexité de ce travail de représentation, si vous arrêtez ça et si vous dites “c'est pas la peine d'entretenir ses habitudes politiques, c'est pas la peine de faire que dans les classes, les enfants apprennent à discuter, c'est pas la peine de limiter les réseaux sociaux pour qu'ils permettent enfin la discussion; etc...” : vous perdez le politique. Et vous arrivez à la solution dont je suis parti au début de mon premier point, c'est à dire un abîme, il y a des gens qui s'expriment de façon indignée, en situation de grande souffrance que personne n'entend. Il y a des gens qui font un travail remarquable au niveau des institutions, des administrations, etc, et qui sont considérés comme des gens qui ne font rien ou éventuellement comme des inefficaces et des inutiles. C'est-à-dire que la possibilité que l'on vide les habitudes politiques existe. Nous la vivons en France. Cette espèce de désastre, de désespoir, l’exemple est assez frappant d'une élection présidentielle qui est le moment le plus important de la vie publique française, qui se passe sans élection présidentielle quasiment. Il n’ y a personne, il ne se passe rien, personne. L'élection n'a pas lieu en quelque sorte, ce qui prouve que le travail politique a tellement disparu que même le pratiquer paraît étrange. 

 

Donc c'est ce problème sérieux que nous abordons avec nos ateliers Où atterrir?, qui ont l'air de rien, mais qui essaye de travailler des questions tout à fait fondamentales : qu'est ce que c'est que de retrouver des habitudes politiques (si je reprends mon point) si c'est des nouveaux être à considérer, si le public n'est pas la solution qu'apporte les institutions mais qui est le problème à résoudre par l'enquête, et enfin, si on oublie que le travail de bouclage du cercle politique est d'une exigence et d'une tension extrême.

Je signale que ce cercle politique peut s'exprimer d'une façon idéale (c'est ce qu’on fait beaucoup les philosophes politiques) qu’en principe, lorsqu’à la montée, les doléances montent et deviennent des décisions et elles reviennent sous la forme d'injonction, de loi, de décret, d'habitude, etc.... C'est ce qu'on appelle l'autonomie politique qui définit la démocratie. 

 

La démocratie, je le rappelle dans la définition disons idéale, c'est de dire : je n'obéis qu'à des règles que je me suis donné moi-même, je me les suis donnés moi-même, à condition que ce cercle, qui est extraordinairement difficile à suivre parce qu’il y a en aucun cas une ressemblance entre ceux qui montent et ceux qui revient, mais néanmoins, c'est bien ça qu'on appelle la démocratie. La démocratie, c'est d'obéir aux règles que l'on s'est donné et depuis nos ancêtres un peu mythiques de la Grèce antique, c'est ce que nous sommes fiers et en ce moment sur les fronts de l'Ukraine, je crois que c'est un peu ce que nous défendons aussi, la capacité d'exprimer et non pas simplement d'obéir à l'ordre d'un tyran. C'est, disons la tradition la plus ancienne de la politique.

 

Mais ce qu'on oublie, c'est que ce cercle, c'est pas simplement “moi je pense que, et vous vous dites ce que j'ai dit !” ça, ce n’est pas l'autonomie politique. Ça c'est un rêve d'expression où c'est “moi, moi je pense que”, et puis ça va revenir et “vous allez faire ce que je veux”. Bah non, évidemment non. On est nombreux et à la montée comme au retour, c'est complètement différent.

 

Donc je crois que ces trois points font un petit résumé de ce qui nous a intéressé dans le montage de “Où atterrir ?”, parce qu’on essaye en fait de trouver des moyens de cure d'habitudes politiques désastreuses, ou plutôt de perte des bonnes habitudes politiques. Ca paraît un peu bizarre dans nos affaires, mais c'est parce que nous nous interdisons de laisser le groupe parler politique, au sens de l'expression usuelle (donnez votre opinion, qu'est ce que vous pensez de, etc..), et nous avons considéré que quand on pose cette question, c'est absolument inintéressant parce que c'est pas les opinions qui compte. S'il n’y a pas d'enquête, parce que ça “moi, je pense que etc…”

 

Je vous donne les idées derrière le dispositif bizarre auquel vous vous soumettez avec un enthousiasme, dont le dispositif est sensationnel mais qui est exigeant. Il est exigeant parce que la question de retrouver les habitudes politiques d'expression politique est en fait extraordinairement exigeante. Et c'est ça que montre très bien Dewey : il suffit d'un moment d'inattention et le public disparaît. L'intérêt général est parti, l'État est corrompu et les citoyens disent n'importe quoi sous prétexte qu'ils souffrent et qu'ils sont indignés. Voilà ma petite présentation.


 

Question : Moi c'est sur la question de la participation, parce que là donc vous nous avez dénommés comme des citoyens experts et alors qu'est ce qu'on fait des citoyens, entre guillemets, non experts dans ce processus ? Enfin, comment on les embarque et surtout, c'est sur la question des outils de capacitation en fait. Parce que là, on préjuge qu’on est en capacité de mener cette enquête. Mais ce qu'est ce qu'on peut faire des citoyens qui ne seraient pas en mesure de faire l'enquête, enfin, qui doivent aussi participer au débat politique, comment on résout ça en fait, sur ces questions de participation.

 

Bruno : Notre affaire ne le résout pas. Parce que les ateliers partent de ceux qui viennent aux ateliers, ceux qui ne viennent pas aux ateliers, soit le chemin de l'enquête va mener à d'autres citoyens-experts (expert, c'est une façon de dire que tout citoyen est expert), à condition de les faire rentrer dans l’enquête. 

Les ateliers ne sont pas un moyen de résoudre la question que vous vous posez, qui est la question habituelle dans toutes ses affaires : combien de gens participent aux décisions ? Et à chaque fois, on s'aperçoit qu'il y a peu de gens qui finalement participent aux décisions. L'idéal serait une augmentation, évidemment des gens.

 

Mais si on suit l'argument de partir des affaires, de partir des concernements, s'il y a pas de concernement, c'est normal que les gens soient pas là. C'est la suite du concernement, c'est-à-dire les accroches, les affaires créent des affects, des indignations, des colères, des souffrances qui est le seul moyen d'intéresser d'autres personnes à la question de participer au public.

 

Notre affaire d'atelier ne résout pas la question que vous posez, la question de l'enrôlement d'autres. Je pense que c'est une autre question. Il faudrait trouver d'autres dispositifs. Là on résout un problème, on ne résout pas les autres. Ça c'est vrai, parce que je pense que l’enquête permet de repérer des tas d'autres gens qu'on avait laissés complètement à côté dans la production du public. Public, encore une fois, c'est associé, il y a le concernement, il y a le public qui est autour. Selon la façon dont le concernement est traité, enquêté, déployé etc, le public s’élargit. C’est pas la peine d'aller dire “s'il vous plaît, participer, participer”. Ils ne participeront pas. Personne ne participe à des choses qui ne sont pas celles qui nous mobilisent. La preuve, c'est que ceux qui sont ici dans la salle, ils sont pas là parce qu'on a dit, participer, participer. Ils sont là pour des tas d'intérêts que je ne connais pas bien sûr, mais qui font qu’ils tiennent, et qu’il tiennent à la procédure. 

 

Evidemment avant, on aurait donné des coups de tambour et on leur aurait dit: “ participez, nous sommes sur la place publique et tout le monde vient.” Parce qu'il y aurait une espèce de compréhension que c'est des sujets qui nous concernent tous et qui nous mobilisent tous, mais le “tous” qui nous mobilise n'existe plus. C'est lui qu'il faut refaire : tous. Il n’y a plus de tous. Le moindre village français, si vous essayez de mobiliser des gens sur un issue quelconque, vous n'aurez pas les mêmes gens. Il n’y a pas de tous. La Constitution du tous, c'est la chose la plus difficile, et le résultat de toutes les opérations que nous essayons de définir une par une dans les ateliers. Donc je suis navré, mais je crois que je réponds pas à votre question.

 

Réponse : Merci, on trouvera d’autres outils en tout cas !


 

Question : Moi j'ai une question sur le fait de l’émergence de la crise écologique ? Sur cette nouvelle donne et ses nouvelles émergences de formes collectives ? Est-ce qu’on peut imaginer des nouvelles formes d'émergence de nouvelles classes politiques aussi ? Et je questionne par là le positionnement aussi de Karl Polanyi, qui pourrait être en adéquation avec la vision de Dewey, sur la question hybride de l'écologie sociale.

 

Bruno : Polanyi vient de Vienne. Ce qui est commun, c'est cette idée que la société résiste à l'économisation générale, c'est la grande idée de Polanyi. C’est une version non-marxiste de l'histoire des classes, la société résiste à l'économie. Évidemment, maintenant on comprend beaucoup mieux Polony qu'on ne le comprenait avant le COVID ou quand on était encore, disons, dans l'illusion économiste, mais on va peut-être le laisser de côté.

 

La première question, c'est sur les classes. J'ai publié avec mon ami Nicolas Schultz, un petit essai, justement pour essayer de … Je ne suis pas sûr que les ateliers aient pour but de faire émerger la classe écologique. Mais ce qui est sûr, c'est qu'à chaque fois que l'on fait et que l'on poursuit une enquête comme nous l'avons fait jusqu'ici, on voit se dessiner des réseaux d'alliances, et on rejoue, on renoue, on reclasse, ça c'est sûr, les amis et les adversaires. Et donc forcément, un front de classe (pour ne pas dire une lutte de classe), se révèle sur chaque sujet. Mais la difficulté c'est que sur chaque sujet, ils sont différents. 

Donc ce qu'il y avait de bien dans la notion de classe d'autrefois, c'est qu'elle lui permettait d'unifier. Donc, pour le moment, on est dans la période intermédiaire, je dirais, c'est-à-dire qu'il y a des reclassements qui permettent de comprendre que des gens avec qui on n’était pas d'accord, maintenant on les trouve intéressants et inversement, mais on n'est pas du tout à l'état au moment où on peut se dire : tous les fronts qu’on voit se monter un peu partout, et bien ils se rassemblent dans quelque chose qui ressemble même très vaguement à ce qu'a pu être, je sais pas moi, la classe ouvrière dans les années 40 et 30, plutôt parce que 40 c'était déjà la catastrophe, mais en 30 dans les années 30. 

 

Mais ça, ce n’est pas directement lié. Enfin, si c'est lié à ce qu'on fait. Mais c'est, disons, un prolongement de nos ateliers. A chaque fois que l'on fait une description par l’enquête d'un sujet de concernement, on dessine des fronts qui ne correspondent pas au front habituel de ce que c'est qu'une classe, soit au sens culturel (parce que c'est plutôt comme ça qu'on l'utilise maintenant, ceux avec qui vous vous reconnaissez dans un mode de vie et de culture), soit au sens, peut-être marxiste ou ? du mot classe. Mais vous avez raison de poser la question parce que évidemment, elle est fondamentale : est-ce qu'il y aura une classe écologique ? Dans notre petit mémo, nous disons oui mais bon : c'est une hypothèse de travail.

 

Réponse : Oui au travail !

8 — boussole vivante

> 45 min animé par Maëliss Le Bricon, Loïc Chabrier et Marion Albert

 

La règle d’or :

“On ne donne jamais son opinion, on ne discute pas, on ne commente pas, on ne rebondit pas.”

 

Un.e citoyen.ne-expert.e se place au centre de la boussole avec sa boussole papier, et commence par lire son concernement suivi de sa deuxième réponse au questionnaire : pouvez-vous décrire précisément en quelques lignes en quoi la présence de cet élément vous est indispensable ?

 

+ Le/la citoyen.ne-expert.e appelle chaque entité de sa boussole en commençant par les menaces, et en finissant par les allié.es. Dès qu’un.e participant.e entend une entité qu’il/elle a envie d’incarner, il/elle entre dans la boussole. Le/la citoyen.ne-expert.e le/la place et décrit précisément l’action de l’entité : ce qu’elle fait qui maintient ou menace le concernement. 

 

+ Le/la citoyen.ne-expert.e lit la carte-action correspondant à l’entité pour que le/la participant.e puisse l’incarner dans la boussole et lui donne une forme. Si elle/il ne dispose pas de la carte-action, le/la citoyen.ne-expert.e lui décrit précisément l’action de l’entité, sans commenter et sans donner son opinion. 

 

+ Au fur et à mesure que les participant.es se placent sur la boussole, un.e scribe saisit et projette en même temps la boussole en version numérique sur un écran.

 

+ Les autres participant.es continuent à venir incarner les entités nommées jusqu’à ce que tout le groupe peuple la boussole ou qu’il n’y ai plus d’entité à placer.

 

+ Une fois que tous.tes les participant.es sont placé.es, chacun.e propose une sculpture vivante qui représente l’action de l’entité qu’il/elle incarne.

 

+ Enfin, la pièce manquante : le concernement. Le/la citoyen.ne-expert.e propose une sculpture vivante du concernement au centre de la boussole et lance la sonosphère du terrain de vie qui se compose avec tous.tes les participant.es de la boussole.

 

+ La sonosphère trouve sa résolution et se termine sans que l’artiste-médiateur intervienne. 

 

+ Le/la citoyen.ne-expert.e laisse la place à un.e autre citoyen.ne-expert.e qui active sa boussole vivante à son tour.

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9 — partage des points saillants

> 30 min animé par Maëliss Le Bricon

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+ On se retrouve en cercle autour de la boussole comme au début de l’atelier avec nos chaises. 

 

+ Chacun.e note un ou deux moments saillants de l’atelier : un moment, une question, un ressenti, que l’on souhaite partager. 

 

+ Ensuite, chacun.e lit scrupuleusement ce qu’il/elle a écrit, sans commenter ni discuter.

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Extraits de la collecte des points saillants : 

 

Comme l’a dit Bruno, ce qu’on porte nous, c’est l’élu qui est l’animatrice ou l'animateur de la vie politique. Moi, à partir d’aujourd’hui, j’ai compris que l’élu doit être l’enquêtrice ou l’enquêteur, et ça m’amène à avoir beaucoup plus de respect pour les concernements des habitants - La boussole vivante à partir du concernement d’Isabelle qui a vraiment permis de révéler ce qu’on plie et déplie autour de chaque entité. ça m’a fait penser à de l’origami - Et aussi, qui a permis de révéler la convergence des liens entre les différents concernements, tout en respectant la règle de non-conversation - Et j’ai vraiment aussi beaucoup appris dans la découverte des boussoles vivantes, et notamment celle de Matthieu, parce que la complexité de l’entreprise, les différentes entités qu’il a développées, moi ça m’a ouvert beaucoup de perspectives également - Le chant de l’improvisation les yeux fermés qu’on a eu hier, qui a permis de libérer une voix/voie. Clairement si je résume, mon point saillant c’est la libération d’une voix/voie, v-o-i-x et v-o-i-e. Donc merci pour tous ces exercices, toute cette matière - Découverte de toutes les enquêtes des autres, donc des points de regard de convergence et de divergence, donc de l’échange critique et citoyen. / L’intervention de Bruno Latour ce matin sur la question politique, qui était essentielle pour me permettre de replacer le pourquoi du comment ici - Être dans la boussole de Matthieu, et d’incarner vraiment une de ses entités. ça m’a permis, je pense, de me projeter dans ma propre boussole qui était pas déployée du tout - Ce matin aussi, ce dont a parlé Bruno Latour sur l’intérêt général, et sa version sur le pragmatisme, ça m’a… Voilà, ça m’a beaucoup aidé - En termes de fait saillant, c’est bien sûr l’intervention de Bruno Latour ce matin sur le cercle politique qui résonne avec ce que je vis - Et puis l’incarnation après de ma boussole, avec la sculpture que vous en avez fait tous, et notamment le maire de Saint-Médard, c’est passionnant d'entendre ce “sort de ce corps”, c’était vrai quoi, c’était beau. Merci -Point saillant né du déploiement de ma boussole, qui n'était pas complète, mais en tout cas, j’ai compris qu’il fallait vraiment préciser ses entités - Et aussi, en écoutant les différentes interventions, après la possibilité de développer une pensée complète, je trouve ça rare et important, de s’autoriser ça - Et surtout aussi, ne pas avoir peur de partager ses incertitudes - Les boussoles vivantes : comment donner même aux adversaires une énergie ou force de transformation ; par contre, une crainte que ça demande tellement d’engagement - Et hier matin, les déplacements à plusieurs dans la salle et la chorégraphie que ça génère - 

La beauté des paysages sonores d’hier matin avec Valérie et lors des boussoles vivantes - L’excitation de chercher avec celui ou celle qui fait sa boussole - Et une nouvelle règle que j’ai observée : plus c’est précis, plus c’est intéressant - Une curiosité accrue pour le passage à venir de l’enquête à la doléance - La manière dont Chloé a poussé des personnes à fouiller les entités pour les déplier. J’ai été fasciné de la manière dont elle a poussé, la manière dont ça a été accouché, et où ça fonctionnait, c’était très intelligent très subtil, et j’ai beaucoup aimé, ça m’a aidé à beaucoup comprendre. Et aussi, voir la boussole et surtout le cheminement d’une personne qui explique toute la complexité de ce qu’elle a déjà trouvé, etc, et comment, quand on voit un tableau d’ensemble - 

Devenir l’enquêtrice. Mes ennemis seraient ceux avec qui je ne partage pas de monde commun. Faire alliance avec des vivants non-humains. Décrire pour agir. Le politique se loge dans les détails. Entendre dans la complexité pour faire entendre une radicalité nouvelle. Quand je suis concernée, je peux devenir experte. Je deviens responsable. Je l’incarne dans mon corps - La prise de conscience entre mon concernement et la politique, par l’intervention de Bruno sur l’explication du cercle politique -

La perspective qui s’ouvre sur la richesse des échanges de ressources, connaissances et expériences qui donne de la puissance au collectif éphémère que nous sommes - Un point saillant très général : la facilité avec laquelle ce dispositif et celles et ceux qui l’animent aussi, permettent d’entrer en relation avec des personnes qui sont absolument inconnues, y compris à 50, ça m’émerveille à chaque fois, et là on était 50, et c’est encore plus merveilleux.

Les objectifs de l'exercice, extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021.

10 : Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Ces exercices ont été crée et animé par Chloé Latour de S-Composition.

11 : Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Ces exercices ont été crée et animé par Chloé Latour de S-Composition.

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