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Carnet d'atterrissage

Le Collectif Rivage, créé à Bordeaux en 2020, réunit des artistes et des scientifiques.

Carnet d'atterrissage

A la manière d'un carnet de bord, l'équipe du Collectif Rivage a documenté le bourgeonnement de l'expérimentation "Où atterrir ?" entre 2021 et 2023.

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L'atelier conférence

Présentation de l'expérimentation par Bruno Latour, Soheil Hajmirbaba et Valérie Philippin

Le lancement de l'expérimentation prend la forme d'un atelier-conférence ouverts à tous et toutes, animé par le philosophe Bruno Latour, l'analyste-cartographe Soheil Hajmirbaba et la chanteuse lyrique Valérie Philippin.

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crédits photos : Pierre Planchenault

" Nous avons une mauvaise habitude, parfois au moment où il faut se connaître et découvrir la procédure, on passe par une conférence j’essaierai de la rendre brève mais rassurez-vous, juste après nous avons des exercices de mise en condition physique. Mais avant de nous lancer dans les ateliers d’écriture. Je vais expliquer le cadre :

Autrefois, il y a simplement deux ou trois ans, j'aurais été obligé de commencer par rappel de faits concernant la situation climatique. Dieu merci !, je n’ai plus à le faire, tout le monde est submergé de ces nouvelles qui nous viennent des activistes ou des scientifiques.

 

Le problème est plutôt : qu’est-ce qu’on fait de ces connaissances que nous avons tous en tête et que nous ne savons pas trop comment métaboliser ? 

L’effort de cette expérimentation, depuis environ trois ans, est de trouver comment mobiliser, métaboliser ces nouvelles pour nous rendre ces puissances d’agir que l’on n’a pas, car on est soit effrayé soit en colère. On peut toujours ignorer ces nouvelles mais c’est de plus en plus dur.

 

J’ai choisi trois problèmes qui expliquent pourquoi on a de la peine à métaboliser ces nouvelles : 

La première difficulté est que, lorsque nous commençons à comprendre que l’on pourrait faire quelque chose pour le climat : cette énorme chose qui nous échappe, ou pour la biodiversité, qui est aussi un problème très important, on est soit complètement dépassé, impuissant soit on s’adresse à une entité internationale, nationale, souvent l’État, en disant « il faut monter en généralité » :  trier les déchets c’est important mais pas suffisant. Le drame que vous ressentez bien est que cette échelle supérieure, par exemple l’État français et ses instances régionales, départementales, communales, n’a nullement les moyens de répondre à ces questions. Il y a je crois ici des gens qui participent à cette administration qui savent combien l’État lui-même est démuni vis-à-vis de ces questions.

 

Quand vous demandez combien il y a de docteurs en question climatique dans l’appareil d’État, on vous répond d’un silence embarrassé que l’on ne sait pas trop, combien de cours à l’ENA ou à Sciences Po où j’ai enseigné des années ? 

Vivian qui est là, a fait une étude dans son centre de recherche pour compter le nombre de gens qui participent à la transition écologique dans l’État et il s’est aperçu avec horreur que ces dernières années ce sont des centaines de postes qui ont été supprimés. On s’adresse à un État appauvri, peu à même de répondre à nos inquiétudes. Et là il y a une espèce de trouble : il faut monter en généralité mais cet État n’est pas équipé pour répondre à nos questions.

Si, on imagine de manière un peu provocatrice, que par un hasard extraordinaire, Mr Jadot occupait l’Élysée dans quelques mois, il n’aurait pas plus de trois ou quatre fonctionnaires vraiment conscients de ce que voudrait dire modifier l’entièreté d’un système sous contrainte écologique. On a eu un État de la modernité, de la reconstruction dans les années 40, mais on n’a pas un État de la transition à l’échelle de ce que cela veut dire. Quelles troupes y aurait-il derrière Jadot à l’Élysée, dans l’administration et dans la population, acceptant les immenses contraintes qu’il faudrait pouvoir appliquer pour s’adapter à l’échelle de la question climatique ? Il est évident que ce ne serait pas facile.

On a vu avec le covid, qu’il est compliqué d’imposer un certain nombre de restrictions des libertés publiques, même pour un cas très classique, rappelons-le, on traite des épidémies depuis longtemps, on sait ce qu’est un vaccin, etc. Ce n’est pas un problème fondamentalement nouveau, il est nouveau par son l’ampleur mais pas par le type d’intervention qu’il requiert. Néanmoins, cela a été une énorme difficulté pour que 66 millions de français soient alignés avec les demandes de l’État. Imaginez ce que serait Jadot à l‘Élysée demandant des contraintes et des transformations un peu importantes : combien de millions de français seraient derrière lui pour dire : « c’est douloureux mais nous l’acceptons » ?

Vous imaginez l’énorme difficulté d’avoir une réaction positive de nous tous, du public si on nous dit plus de voiture, etc.

Et en plus, une difficulté complémentaire est que, faute de compréhension de cette mutation, de ce que j’appelle « le nouveau régime climatique », sur chacun des sujets sur lesquels un gouvernement vert pourrait vouloir intervenir, nous rentrons dans des controverses, que ce soit la voiture électrique, les éoliennes, etc.

Nous avons donc un État peu équipé, malheureusement soumis à une cure d’amaigrissement considérable qui doit répondre à nos questions à une grande échelle. C’est un peu là, la première difficulté pour métaboliser, transformer nos angoisses, nos connaissances angoissantes. Beaucoup de scientifiques que je connais ont ce problème, ils ne travaillent pas qu’avec des connaissances qui seraient froides. Mon ami Tim Lenton, qui est un de ceux qui travaillent sur les fameux « tipping points » m’a expliqué que le dernier rapport du GIEC était incroyablement optimiste par rapport à ce que lui considère qu’il se passe. Le GIEC s’efforce de ne pas dramatiser, de choisir les scénarios, pour calmer le jeu : ils sont tous saisis par ces connaissances. On ne peut pas se saisir de ces questions sans affects ni émotions, à essayer de transformer en quelque chose.

Dans les périodes précédentes on pouvait aligner la représentation du monde, nos intérêts (chacun savait à peu près se placer dans l’organisation de la société). Il y avait des partis plus ou moins anciens qui représentaient des façons de se relier dans le paysage et on était appelé à voter, était un peu clair. L’organisation était plus ou moins déterminée avec une alignement affects-intérêts tels qu’imaginés -partis-programmes et vote.  Cet alignement a disparu.

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crédits photos : Pierre Planchenault

Le plus grand parti de la dernière élection était le parti des abstentionnistes ce qui est plutôt une bonne preuve de la déconnexion totale entre l’alignement ancien affects-intérêts-programmes-vote et la situation ou nous nous trouvons.

Il faut refaire ce travail et nous ne pouvons plus compter comme le font beaucoup de procédures de participation du public, de démocratie participe, sur des citoyens alignés entre leurs affects et leurs intérêts. [Cela génère] une espèce de découragement et de fait une participation faible, on se dit que c’est joué d’avance, etc. Cet alignement a disparu. Il faut trouver des procédures pour reconstituer par petits morceaux cette situation dans laquelle on peut compter sur des citoyens. Le citoyen idéal de la démocratie, tel qu’on l’imagine [à Sciences Po] est absent : le peuple manque.

[La raison à cela est] tout simplement, et c’est la deuxième partie de mon exposé qui est plus spéculative, parce que la situation dans laquelle nous essayons d’exprimer nos positions politique [a chargé]. Nous essayons de dire « je suis pour cela », « contre cela » [mais on] a changé de monde.  On se retrouve dans un monde pour lequel les habitudes de description politiques - vous connaissez ça très bien : « une société d’humains essayant de régler au mieux le problème de la justice sociale à partir du développement des richesses produites par la production mécanique et industrielle » - n’est plus le problème. 

Enfin, ce problème existe toujours mais en plus il y a un énorme problème nouveau pour lequel on ne sait pas se comporter et pour lequel tous les sujets sont controversés.

[La question] est – pour reprendre le titre d’un de mes livres – « où est-ce que l’on est ? » ? 

Si on a changé de monde matériel, forcément on se trouve démunis, plus simplement parce qu’on s’adresse à des entités qui n’ont plus les moyens mais parce que personne n’a l'habitude de traiter des questions comme le changement climatique ou la capacité des vivants à s’engendrer. 

On a changé de monde, et ce que je vais dire est plus spéculatif, je sais que tout le monde ne me suis pas, que mes amis du consortium me disent que quand je pars là-dedans je ne suis pas toujours bien compris, mais on a changé de cosmologie.  Cosmologie c’est un terme qu'utilisent les anthropologues (il y a aussi le sens [astronomique] des cosmologies mais) et c'est-à -dire la répartition des puissances d’agir des êtres avec lesquels on vit. Et elles sont très nombreuses.

Si on dit qu’on a changé de cosmologie, cela explique aussi pourquoi les habitudes politiques que nous avions jusqu’à la fin de la période précédente – disons les années 80-90 - ne sont plus ajustées. Personne n’avait travaillé la question de tenir le climat comme une question qui les concerne directement. Il y avait des gens qui parlaient d’atmosphère, du temps qu’il fait mais jamais en se disant que ce climat là j’en suis partie.

On ne peut bien faire. Il y a un intérêt, pas largement partagé je vous l’accorde, à considérer que c’est bien d’un changement de cosmologie [dont il s’agit]. On a un grand avantage là-dessus : le covid. Le covid nous rend ce service de nous habituer à un type d’être qui est beaucoup plus commun, typique, canonique que les êtres avec lesquels nous étions habitués à habiter pendant la modernisation. Le covid qui globalise à toute vitesse, de bouche en bouche. Et on apprend des scientifiques qu’il est en train de muter, de se transformer car est attaqué par des pressions de sélection, etc.

Ce qui est intéressant est que c’est un bon vecteur pour comprendre le changement de monde. Pour le dire d’une façon trop dramatique : le monde dans lequel on était avant était un monde dont le modèle canonique c’était les expériences de Galilée faisant rouler une boule de billard sur plan incliné, c’est cela qui définissait un type d’objets, d’êtres. Nous avons tous appris ce que des gens comme Descartes, Galilée, Newton… ont fait de ce modèle. Mais si vous passez dans un monde des vivants en mutation toujours en train de se transformer : ce  n’est plus le même monde.

Charlotte Brives qui est là et travaille sur les phages nous dirait que les virus ne sont pas des ennemis, des choses que l’on va contrôler comme on contrôlerait la chute d’une boule. Ils ont leurs propres capacités d’agir. Il va falloir […] faire – c’est une belle appellation de la langue latine et française - un modus vivendi, un genre de vie qui interdit l’idée qu’on en serait séparé ou protégé.

Vous avez remarqué le nombre de travaux, de festivals, sur la question des vivants - c’est parfois [abordé] avec naïveté mais c’est intéressant. Tout le monde se dit qu’on arrive dans un monde de vivant, que c’est la position – comme on dit en informatique - par défaut.

Il y a plus : ce que l’on découvre avec les sciences de la terre c’est que ces vivants sont aussi ceux qui ont constitué le monde dans lequel nous nous trouvons. 

Cette boussole que nous n’aurons pas le temps d’utiliser au sens de Soheil (parce qu’on est 80 et que c’est beaucoup trop pour) a un avantage. Si vous prenez autrement [ce cercle – se positionne dessus], c’est un globe et sur cette petite ligne là [contour extérieur], vous n’êtes pas sur le globe terrestre, au centre de la terre ou dans le cosmos (même si de temps en temps un fou milliardaire y va pour quelques heures de tourisme spatial) vous vous trouvez ici, juste ici, dans les quelques kilomètres de ce que mes amis scientifiques appellent la Zone critique. Les quelques kilomètres de l’atmosphère et des roches que l’on appelle joliment les roches mères qui est la totalité de notre expérience, personne, même les gars dans les fusées, n’ont jamais eu d’autre expérience que celle permise par les vivants qui sont dans cette minuscule couche.

Et une chose intéressante : ce sont eux, les vivants qui ont construit le monde dans lequel nous nous trouvons. Ils ont construit l’atmosphère que nous respirons, le sol où nous cultivons nos patates, le climat, etc. Nous en sommes tous conscients, en particulier lorsque nous nous intéressons au COPs. Pourquoi fait-on des COPs ? Parce que nous  trouvons tous les chefs d’État concernés par cette question de la température de la planète, question qu’on ne leur posait pas avant. On a bien les chefs d’États, les industriels - il y en a peut-être dans la salle - qui réfléchissent à comment s’adapter ou mitiger ce changement climatique. Ils se sont tous habitués à cette idée, curieuse, qu’il y a quelque chose - même si l’image est [imparfaite] comme un thermostat qui assure une certaine condition d’habitabilité de la planète et, qui se trouve modifié, transformé.

Le paradoxe est que nous sommes parfaitement conscients, par l’intermédiaire de la géopolitique, d’un phénomène de thermorégulation, dans lequel notre action a une influence sur l’action de la planète et suppose qu’elle a une forme de régulation. Mais nous n'en avons pas la compréhension, même pas intellectuelle, affective - si je vous parle du globe, vous allez le voir depuis la lune avec mars, vous n’allez pas penser à la zone critique. L’expression un peu [forte que j’ai proposé dans] « Où-suis-je », est nous sommes définitivement confinés. Ça a été l’avantage du covid :de nous préparer à une autre idée du confinement. Nous sommes dans cette zone critique dont dépendent toutes nos conditions d’existence. 

Cela change pour une raison très importante : la question des échelles. Si on se dit qu’il s’agit de la Terre dans l’espace infini du cosmos, l’activité humaine apparaît négligeable. Mais dans la Zone critique, les statistiques de nos amis du centre de recherche sur l’anthropocène qui commencent à compter que cette espèce humaine est en rivalité avec des forces géologiques, et qu’elle est à la taille ou même supérieure – voyez l’érosion, la disparition des rivières – avec les autres forces géologiques. C’est un problème d'échelle.

 Il n’y a aucun espoir d’avancer. Quand je parle de cosmologie personne ne comprend. Mais il y a une raison essentielle pour savoir dans quel monde on est : pouvoir agir politiquement.

Dans l’espace moderne on avait des capacités d’action que l’on n’a plus dans un monde de vivants dont la particularité est de muter, de se superposer et d’être […] dont nous avons l’expérience. Il n’y a pas d’autres êtres que ceux qui ont constitué l’atmosphère [et cette Zone critique]. 

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crédits photos : Pierre Planchenault

C’est un vrai problème de transformation du lieu où nous nous trouvons. Je ne peux pas croire que ce changement de lieu n'ait pas d’influence sur la façon dont nous pensons nos affects. Cela ne veut pas dire que l’on est conscient de ce que font nos camarades scientifiques mais forcément ça rentre par des biais dont nous ne sommes pas conscients dans la façon de nous encourager, décourager.

Être dans un monde de vivants dont le modèle ce sont de [virus] ce n’est pas la même chose… ; chose que de se retrouver dans le monde de Descartes pour le dire vite, dans un monde d’objets contrôlables que nous pouvons utiliser. C’est la deuxième raison [qui explique la difficulté] à métaboliser des nouvelles affreuses qui nous viennent tous les jours, par exemple il y a quelques semaines le dernier rapport du GIEC. Il faut nous équiper pour pouvoir absorber ces questions. Il n’y a aucune raison que les 66 millions de français soient prêts d’emblée après trois ou quatre siècles de vie politique sur la question de la justice sociale permise par la production des richesses industrielles, soient équipés d’emblée pour aborder cette expérience. Nous ne sommes pas éduqués pour changer de cosmologie, et c’est douloureux.

Être confinés, c’est douloureux. 

J’aborde la troisième partie. J’ai l’habitude de faire des considérations très larges et d’essayer de trouver la forme pratique - qui n’est pas anti théorique mais profondément inspirée par des questions fondamentales de recherche - qui permette à chacun de s’accrocher.

Ce n’est pas la peine de faire des discours à des gens déjà inquiets pour le dire qu’il faut faire de la philosophie fondamentale et de lire des choses qui leur passent par-dessus la tête (je sais que ce n’est pas votre cas).

Notre solution provisoire, expérimentale, est de dire : si nous n'avons pas d’emblée et c’est normal, la capacité de visualiser le monde dans lequel nous aurons plus tard des intérêts, des affects alignés avec les futurs partis et capacité de voter dans un État capable de répondre, il faut commencer quelque part. 

Cela ne sert à rien de céder à la tentation de se plaindre et de dire à l’État de faire quelque chose. C’est ce que Spinoza [j’ai lu ça chez Macron] appelle des passions tristes et ce sont des passions vraiment tristes : hurlement de rage et de désespoir de ne rien pouvoir faire. C’est de ça qu’il faut sortir.

Il faut en sortir, de façon étrange, par ce que nous appelons la description. Ce n’est pas la description au sens d’un ethnologue, d’un sociologue qui viendrait étudier un groupe d’individus ou d’un géographe qui étudierait un paysage. C’est une auto-description.

C’est ce à quoi nous allons vous inviter. Pas les 80, mais ceux qui seront intéressés par la suite du projet.

Pour cette auto-description c’est paradoxal, on pourrait se dire « puisque ces question sont énormes il faut commencer par l’énorme ». Nous disons pas du tout. Il faut commencer par le point où chacun d’entre nous, tête de pipe par tête de pipe, se trouve : quel est le sujet sur lequel ses inquiétudes, ses angoisses, ses peurs sont maximales.

Vous allez vous apercevoir – et je crois que l’on peut dire que c’est validé par l’expérience depuis 3 ans – que quand on commence par le personnel (qui n’est pas l'individuel) on trouve aussitôt des connexions qui permettent de se relier à l’ensemble de ce que l’on aurait appelé avant « les choses de grand taille ». On les attrape par un fil : ce qui nous concerne (on utilise le terme barbare de concernement, « issue » en anglais).

J’ai piqué à John Dewey (même si je n’arrive pas à mettre la main sur la citation initiale qui est peut-être de Lippmann ou des grands pragmatistes américains en tous cas) cet argument très simple qu’il n’y a que celui qui a son caillou dans sa chaussure qui sait où cela lui fait mal et peut l’enlever. On ne peut pas sentir ceux des autres.

Nous commencerons donc par la description de là où ça nous fait mal, du caillou dans la chaussure. Nous allons collectivement poursuivre ensuite à partir de ces cas particuliers, qui ne sont pas individuels, car quand on suit les fils, on va partout, on se déplace. 

Ces cailloux, ces enquêtes vont nous permettre peu à peu de repérer nos intérêts. Car il est  très difficile de savoir quels ils sont si on ne sait pas comment décrire le monde ou vous êtes. Par définition, la décision d’agir, de s’attaquer à, etc. dépend de la description d’un monde à peu près réaliste, sinon c’est trop vague. 

En plus avec les réseaux sociaux aujourd’hui il est d’autant plus difficile d’avoir des intérêts. Vous avez des fermes en Sibérie, avec des trollers en série, qui vous envoient des messages et brusquement ce sont vos intérêts. Vous ne savez plus bien si c’est à vous ou aux Russes.

Pour construire ces intérêts, il faut passer par l’auto-description. Et c’est l’étrangeté du processus, cela prend du temps.

Et, je suis désolé de vous le dire comme ça, mais c’est une règle que nous posons : « ON NE DISCUTE PAS ». On ne discute jamais. Vos opinions ne nous intéressent PAS. La dernière des choses que nous voulons c’est de vous dire de vous lever en disant « moi je pense que… ». A ça, nous disons, « asseyez-vous, prenez une feuille et décrivez le concernement ». Nous ne sommes plus et pas encore en mesure d’avoir des options qui permettent une discussion ajustée.

C’est un monde neuf, une nouvelle Terre, au sens propre. Le régime auquel nous sommes habitués, d’expression d’opinion est forcément à côté de la plaque.  J’exagère bien sûr, il y a des gens qui ont des opinions [solides] mais elles ne nous intéressent pas trop. Vous pouvez avoir des opinions arrêtées sur les éoliennes mais qui ne vous concernent pas trop, ce sera autre chose qui vous concerne directement. Il faut un retour à l’authenticité des intérêts, des émotions, des affects.

Ce que je raconte c’est du chinois car il faut le faire. C’est la difficulté, si on ne le fait pas, on ne comprend rien. Mais comme vous n’avez peut être déjà rien compris à ce que je dis depuis tout à l’heure, ce n’est pas grave, c’est là. 

Je suis là pour faire un espace de [??].  Je disais que ça ne servait à rien de parler et je continue.

Une auto-description, pour une situation nouvelle à laquelle nous ne sommes pas préparés, prépare la capacité à avoir des opinions entre citoyens à l’ancienne disons, qui ne sont plus là.  Le cercle politique - s’adresser à un État qui comprend ce que l’on dit, est capable de valider, d’imposer des contraintes que nous acceptons -  est cassé.  Pas parce que l’État est mal conduit mais parce que la situation est nouvelle. Il n’y a pas en France et je ne crois pas nulle part dans le monde, qui que ce soit qui puisse dire ce qu’est un État industriel, de prospérité et de liberté sous les contraintes demandées par l’habitabilité de la planète. Personne ne sait. Cela ne sert à rien de clamer. Il n’y a pas de connaissance, ce n’est pas exploré par les citoyens eux-mêmes.

On ne peut pas se précipiter en disant « moi je sais très bien, un État industriel, de prospérité et de liberté sous les contraintes demandées par l’habitabilité de la planète, ça ressemble à ça. Nous avons tous des idées mais ce sont des utopies, des non-lieux. Or, nous voulons des lieux.

Et nous pensons, un peu naïvement, c’est à ce à quoi on vous convie que si on commence cette procédure, tête de pipe par tête de pipe, on va se construire au fur et à mesure une description plus réaliste au sens que chacun ressent plus précisément le monde. De fil en aiguille, nous allons arriver à la solution que personne n’a d’avance car la situation est nouvelle.  L’éruption de la nature dans les questions politiques (même s’il y a eu plein de précurseurs qui avaient anticipé) est nouvelle.

Un dernier point, ce n’est pas simplement, et j’ai utilisé le mot affect, ce n’est pas simplement un problème de réflexion au sens classique. C’est aussi la capacité d’articulation de nos propres corps. Depuis le début nous avons une règle dans Où Atterrir, nous essayons d’associer une question qui paraît très savante - refaire la politique c’est une question savante - avec des problèmes extrêmement simples : comment je me comporte physiquement, comment je suis capable d’émettre des sons que les autres entendent. Comment on constitue des collectifs articulés, qui ont la capacité d’articuler.

Dans le projet pilote, on est parti avec des gens – notamment réunis par Chantal - capables de travailler et je mets mille guillemets « artistiquement » à des créations partagées. 

Exprimer des émotions, être en colère passer d’une passion triste à une passion productive demande un travail physique.

Et le lieu s’y prête. C’est pourquoi dans les 20 minutes qui suivent vous allez pouvoir sortir enfin le postérieur de vos sièges, arrêter d’entendre une conférence ennuyeuse, vous mettre en condition physique de passer à l’épreuve suivante. Merci ! "

Dispositif de la boussole inventé pendant le projet-pilote "Où atterrir ?" avec Bruno Latour et SOC  (Société d'Objets Cartographiques)

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Soheil Hajmirbaba de SOC (Société d'Objets Cartographiques) / crédits photos : Pierre Planchenault

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crédits photos : Pierre Planchenault

Mode d'emploi de la boussole par SOC  (Société d'Objets Cartographiques)

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crédits photos : Pierre Planchenault

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