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Carnet d'atterrissage

Le Collectif Rivage, créé à Bordeaux en 2020, réunit des artistes et des scientifiques.

Carnet d'atterrissage

A la manière d'un carnet de bord, l'équipe du Collectif Rivage a documenté le bourgeonnement de l'expérimentation "Où atterrir ?" entre 2021 et 2023.

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Atelier 2

Mener l'enquête dans la zone critique

Où atterrir ? est une expérimentation artistique, scientifique et politique

qui propose a des citoyen·nes, des agent·es de la fonction publique et des élu·es de mener l'enquête sur leur terrain de vie à partir de leurs attachements : ce à quoi ils tiennent et qui les fait tenir.

La démarche associe les pratiques artistiques et cartographiques aux méthodes d'enquêtes pour redéfinir le territoire à partir des dépendances et revitaliser le cercle politique dans un contexte de mutation climatique.

1 — accueil convivial des participant.es 

> 15 min avec toute l’équipe

 

Autour d’une boisson avec des biscuits ou des fruits pendant lequel on échange et on se met à l’aise avant de commencer l’atelier.

 

2 — présentation du déroulé de l’atelier

> 2 min animé par Maëliss Le Bricon

 

On retire nos chaussures, on laisse toutes nos affaires au bord du plateau et on vient s’asseoir sur les chaises en cercle autour de la boussole tracée au sol. Les membres de l’équipe et les participant.es sont mélangé.es.

 

+ Aujourd'hui on poursuit l’expérimentation artistique, scientifique et politique “Où atterrir ?” avec l’exploration de la zone critique et des multiples des vivants qui la peuplent.

3 — cercle des prénoms

> 3 min animé par Maëliss Le Bricon

 

+ Une première personne sonorise son prénom avec un geste.

 

+ Tout le monde reprend, en même temps et le plus précisément possible, le geste et le prénom de la première personne.

 

+ On recommence pour chacun.e jusqu’à boucler le cercle des prénoms.

 

4 — réveil du corps et de l’espace

> 6 min animé par Valérie Philippin / Séverine Lefèvre

+ On commence tout doucement à s’étirer, comme on le souhaite. On fait l’étirement dont on a besoin : sur le côté de la cage thoracique, les jambes et le dos. On peut bailler, respirer.

 

+ Sans transition, on se met à marcher dans l’espace. On essaye de ne pas laisser d’espaces vides dans la salle. On peut se regarder les uns les autres, se sourire, se dire bonjour, se faire des clins d'œil.

 

+ On fait glisser le regard sur la salle, sur l’espace et sur les murs. On va visiter le plafond, on reprend connaissance avec cet espace et on essaye d’y voir quelques détails qu’on n’avait peut-être pas identifiés la dernière fois. On observe ses dimensions, ses zones plus ou moins sombres, et puis on regarde quelles sont les sources lumineuses présentes : sources de lumière artificielle, lumière naturelle. On prend un temps pour regarder les ombres dans cette salle : comment elles entrent différemment dans la salle ? Est-ce que c’est une ombre créée par la lumière naturelle ? Par la lumière artificielle ? Par un mélange des deux ?

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5 — ouverture des portes-fenêtres

> 10 min animé par Valérie Philippin / Séverine Lefèvre

 

+ Tout en circulant, on compare notre pied droit avec notre pied gauche : leur poids, volume, densité, matière, couleur et on partage à voix haute ces sensations. 

 

  • On s’intéresse au poids qu’on ressent dans chaque pied : est-ce que je sens un pied plus lourd ou plus léger que l’autre ? Est-ce que j’ai des poids différents en fonction des pieds ? Chacun.e partage ses sensations à voix haute tout en continuant à marcher.

  • On continue : est-ce que je sens une différence en termes de volume ? Est-ce que j’ai un pied qui paraît plus ample, ou au contraire un pied qui paraît plus plat ? 

  • On poursuit avec les matières : est-ce qu’on imagine une matière différente dans le pied droit et dans le pied gauche ?

  • Et maintenant, est-ce qu’on peut sentir, percevoir, donner une couleur à nos pieds ? Et est-ce qu’il y a une différence d’un pied à l’autre ? Quelle couleur est-ce qu’on sent dans chaque pied ?


 

+ On imagine qu’on a des portes-fenêtres dans nos pieds, sur les bords, dessus, dessous, que l’on ouvre en grand pour faire entrer et faire circuler l’air. On se laisse traverser par cet air et on commence à goûter ce que ça fait de se laisser traverser par autant de courants d’air, tout en continuant à se déplacer. On danse avec nos pieds.

 

  • Chacun.e décrit cet air et sa force : est-ce que c’est plutôt des petites brises ? Des bourrasques ? Des tempêtes ? Un grand vent franc ? Est-ce que cet air, ce vent, a une saison ? Une température ? Un horaire dans la journée ? Un parfum ? Des sons ? Sur quel paysage ouvrent les fenêtres ? Comment est la lumière ?

 

+ On ouvre les portes-fenêtres depuis les pieds jusqu’aux genoux et on sent cet air, qui continue à nous traverser et nous met en mouvement. On continue de se laisser traverser par cet air.

 

  • On ouvre les portes-fenêtres des chevilles tout en continuant de circuler. 

  • Puis on ouvre les portes-fenêtres des cuisses et du bassin. On se laisse traverser et bouger par ces bourrasques, ou ces petites brises, et on laisse le mouvement agir.

  • Les mouvements s’amplifient naturellement au fur et à mesure qu’on ouvre les portes-fenêtres : des genoux, des hanches, du bassin, de la taille, de la cage thoracique (colonne, sternum), des épaules, des coudes, des poignets, des mains, du cou, de la tête (bouche, oreilles, yeux, narines, articulation des os du crâne).

 

+ Quand tout le corps est en mouvement, on peut goûter avec le regard périphérique la composition collective.

 

+ On revient tranquillement à la marche, et on compare les sensations procurées par les pieds : plus équilibrés, plus lourds, plus légers, cela dépend de l’état initial de chacun.e.

6 — faire entrer l’air dans le corps

> 12 min animé par Valérie Philippin / Séverine Lefèvre

 

+ On revient tou.tes ensemble en cercle. Après avoir fait entrer l’air dans le corps, on va maintenant faire entrer le corps dans l’air.

 

  • Avec les mains, on entre en mouvement dans l’air jusqu’à en sentir la résistance, l’épaisseur, la densité : l’air est une matière (les mouvements ont de la vitesse qui permet d’expérimenter la résistance de l’air), comme si on était dans l’eau. On communique cette sensation aux bras, qui brassent, touillent, soulèvent, écrasent, ramassent, embrassent…

  • Même chose avec les jambes : on ramène l’air à soi, on le shoote, on le soulève, on nage dedans… 

  • Même chose avec le buste : on traverse l’air de haut en bas, d’un côté à l’autre. Puis on peut poser sa joue sur l’air.

 

+ Comme on est en contact avec la résistance de l’air, on peut s’appuyer dessus : immobile ou en mouvement, on joue avec l’équilibre en s’appuyant sur l’air avec les mains. On laisse cette sensation se communiquer dans tout le corps, l’air est solide, et on est comme une statue statique ou mobile qui ne perd jamais l’équilibre. 

L’air nous porte, il est notre “parten’air”.

 

+ On ajoute la voix, qui est un autre membre du corps, et on la connecte avec les autres mouvements. On danse avec tout le corps dont la voix fait partie, en continuant de s’appuyer sur l'air. La voix est de l’air dans l’air, le corps est de l’air dans l’air. 

 

+ C’est une improvisation, on part de l’immobilité et du silence et on y revient. Cela se compose, se développe et se termine de soi-même, personne ne dirige, l’écoute dirige.

 

+ On revient en cercle. On s'interroge collectivement : cette improvisation de quoi est-elle composée, quel est notre vocabulaire, nos outils ?

 

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7 —  langage imaginaire

> 5 min animé par Valérie Philippin / Maëliss Le Bricon

 

+ On se lance, sans réfléchir, dans une conversation en langage imaginaire. On part d’un trio parlé, qui va ensuite évoluer vers un trio chanté, vers une composition sonore : de là où on est, avec ce qu’on est, ce qui nous vient.

L’artiste-médiatrice lance le langage imaginaire avec un premier groupe, ainsi de suite. Celles/Ceux qui écoutent peuvent fermer les yeux pour mieux entendre. 

 

Notes : On va faire entrer des compositions phonétiques (voyelle et consonnes) et intonatives (mélodiques) dans notre vocabulaire avec des langages imaginaires. On remarque que tous les composants de la musique sont dans le langage ; rythmes et vitesses, (durée), hauteurs, contrastes d’intensité, contrastes de timbres (montrer une improvisation parlée chantée en amplifiant la musicalité par des sons tenus et de grands contrastes de hauteurs).

8 —  écho dans la montagne

> 3 min animé par Valérie Philippin / Maëliss Le Bricon

 

+ L’artiste-médiatrice joue le rôle de la bergère et se place face à un demi-groupe de participant.es, comme si elle était face à une montagne. Elle propose une forme vocale improvisée courte (avec peu d’éléments différents) et le demi-groupe répond en écho, deux fois ou trois fois. Elle propose de grands contrastes entre chaque proposition. Pendant ce temps, l’autre demi-groupe écoute en face, les yeux fermés. 

 

+ Puis on alterne les groupes, la bergère se retourne et propose une forme vocale à l’autre demi-groupe. On alterne action et écoute, deux ou trois fois avec chaque groupe.

 

+ Si on a le temps, on propose à qui veut faire le berger ou la bergère.

Notes : L’idée c’est l’écho : reproduire c’est faire la même chose, et imiter c’est s’approprier. L’important n’est pas de reproduire à l'identique, mais de voir comment on peut tou.tes s’emparer d’un son, comment on recompose quelque chose ensemble qui fait écho.

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NE PAS FAIRE APPEL À L'IMAGINATION - point dogmatique de Bruno Latour

" A aucun moment nous n’avons parlé au cours des week-ends d’imagination. Des arts, oui, des sons, des voix, des corps, des lieux oui. Mais de l’imagination, non. 

Le point est essentiel et doit entrer dans les dogmes du consortium... car l’engagement des artistes dans l’imagination est ce qui fait perdre le réalisme encore plus sûrement que le (pseudo) réalisme du « moi je pense que ». 

En effet l’imagination est parfois une procédure d’accès à un contenu, mais elle ne permet pas d’avoir un contenu par elle-même. Ce qui explique que quand on demande aux gens de stimuler leur imagination, (inventer votre territoire dans 20 ans par exemple) on retrouve tous les clichés habituels. Si l’artifice des arts que nous mobilisons stimule bien évidemment l’imagination comme procédure d’accès, il doit tendre tout entier à explorer cette réalité que le pseudo réalisme voile exactement autant que les images “arty” que tout un chacun a en tête. L’imagination autorise, stimule, excite l’enquête, mais rien ne remplace l’enquête. Au cours des ateliers, on ne peut pas dire « moi en tant qu’artiste, j’imagine que… ".

9 — pause

> 10 min

 

10 — introduction à la zone critique avec Bruno Latour

> 35 min animé par Maëliss Le Bricon

La zone critique est la fine pellicule habitable dans laquelle nous vivons actuellement ; elle se situe à quelques kilomètres de profondeur dans les roches de la planète Terre et s’élève à quelques kilomètres seulement dans l’atmosphère. L’habitabilité de la zone critique est permise grâce au travail des vivants comme les bactéries, les micro-organismes, les verres de terre, le plancton… Plutôt que d’aller vivre sur Mars, nous vous proposons d’atterrir dans la zone critique et de visionner une intervention que Bruno Latour a donnée dans le Lycée d’Anatole Bonnin, participant du projet pilote qui a aussi mené une enquête à Saint-Junien.

La conférence de Bruno Latour le 29 janvier 2021 en visio :

Ouverture des portes-fenêtres créé par Territoire de la Voix (Valérie Philippin).

Faire entrer l'air dans le corps créé par Territoire de la Voix (Valérie Philippin).

Dessin de Marion Albert.

Langage imaginaire créé par Territoire de la Voix (Valérie Philippin).

Echo dans la montagne créé par Territoire de la Voix (Valérie Philippin).

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

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Dessins de Marion Albert.

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“Il en est de la ville comme de la termitière : habitat et habitants sont en continuité ; définir l’un, c’est définir les autres ; la ville est l’exosquelette de ses habitants, comme les habitants laissent derrière eux un habitant dans leur sillage, quand ils s’en vont ou se dessèchent - par exemple quand on les enterre au cimetière. Un urbain est dans sa ville comme un bernard-l’hermite dans sa coquille. “ Où suis-je donc ?”Dans, et par et en particulier grâce à ma coquille. La preuve, c’est que je ne peux même pas montrer mes provisions chez moi sans l’ascenseur qui m’y autorise. L’urbain serait-il un insecte “ à ascenseur” comme on dit d’une araignée qu’elle est “à toile”? Encore faut-il que les propriétaires aient entretenu la machinerie. Derrière le locataire une prothèse ; derrière la prothèse, encore des propriétaires et des agents d’entretien. Et ainsi de suite. Le cadre inanimé et ceux qui l’animent, c’est tout un. Un urbain tout nu, cela n’existe pas plus qu’un termite hors termitière, une araignée sans sa toile ou un Indien dont on aurait détruit la forêt. Une termitière sans termite, c’est un tas de boue, comme les quartiers chics, pendant le confinement, quand nous passions désœuvrés devant tous ces bâtiments somptueux, sans habitant pour les animer.”

 

Bruno Latour

11 — introduction à la zone critique avec Lynn Margulis

> 10 min animé par Loïc Chabrier

 

Lynn Margulis est une microbiologiste très importante qui a étudié le travail des micro-organismes dans la fabrication de la zone critique et de son habitabilité. Nous vous partageons des extraits du documentaire “Symbiotic Earth” avec plusieurs vidéos d’archives au cours desquelles Lynn Margulis présente ses travaux.

 

L’intérêt de ces images est de l’entendre parler et montrer le travail incroyable mené par ces vivants depuis des milliards d’années, de comprendre comment la zone critique s’est créée et comment elle est aujourd’hui maintenue ou menacée.

 

Ce que l’on découvre, c’est que les conditions d'habitabilité de la zone critique sont fabriquées par les vivants: chaque action de chaque vivant agit, participe à son maintien ou à sa menace. Ce travail mené par les vivants pour maintenir ses propres conditions d’engendrement est à relier directement à l’enquête que chacun.e mène dans le dispositif “Où atterrir ?” : il n’y a pas de décors, il n’y a que des acteurs qui agissent.

SE SITUER DANS GAIA - point dogmatique de Bruno Latour 

“C’est là proprement dit la découverte de Gaïa : on ne comprend pas la vie si l’on se contente de considérer l’organisme sans les conditions d’habitabilité qu’il a légué à ses successeurs — cela est vrai à toutes les échelles, des virus au climat. Les biologistes qui résistent autant à l’idée de Gaïa font comme quelqu’un qui voudrait étudier un termite sans prendre en compte les murs géants d’argile mâchonnés qui sont nécessaire à leur existence qui sont pourtant le produit de leur ingénierie. Cela ne veut pas dire que les murs sont « vivants », pas plus que l’oxygène de l’air n’est « vivant », mais que la totalité de ce que nous pouvons observer (en tous cas sur la zone critique — seul milieu auquel les vivants ont accès) est le produit de cette ingénierie par les organismes. Nous sommes dans le territoire, au sens très ouvert que nous branchons nos propres décisions de prolonger, de féconder ou de rendre plus difficiles, voire de stériliser les conditions d’habitabilité constituées par chaque fibre, chaque flux, chaque vecteur qui vient vers nous et que nous infléchissons ou non. Cela est vrai du prolongement d’une haie, d’un rosier, comme celui d’un canal, d’une piste d’aéroport, d’un lotissement, ou d’un affut au sanglier.”

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

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12 — introduction aux recherches scientifiques, artistiques et cartographiques de la zone critique

> 10 min animé par Maëliss Le Bricon

Nous venons de le voir, l’humanité se rassemble en réalité sur une mince pellicule de la planète qui va des roches fraîches situées à la base du sol jusqu’à la basse atmosphère, et inclut tout le vivant. Baptisée « zone critique » par les scientifiques, cette pellicule, très réactive, est interconnectée : l’eau, les gaz de l’atmosphère et les minéraux qui constituent les roches interagissent les uns avec les autres et façonnent cet environnement dans lequel nous évoluons.

 

Nous sommes confinés dans cette zone critique, nos actions nous reviennent, elles ne s’échappent pas. Et parce que nous n’avons pas prévu d’aller vivre sur Mars, comment atterrir dans la zone critique ? Notre proposition est de s'égailler comme un essaim d'oiseaux ou de voyageurs qui arrivent dans un aéroport, dans un mouvement de profusion et de dispersion des initiatives avec différents médiums : scientifique, artistique, cartographique, qui permettent de nous situer dans la zone critique en tant que vivants parmi d’autres vivants pris dans une multitude de processus d’engendrement.

 

+ Les observatoires de la zone critique : https://www.ozcar-ri.org/fr/la-zone-critique/quest-zone-critique/](https://www.ozcar-ri.org/fr/la-zone-critique/quest-zone-critique/

 

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“ Mais l'autre nouveauté, c'est que cette Terre qui tremble de nouveau, ce n'est pas la Terre astronomique imaginée par Galilée, c'est une Terre minuscule. 

C'est ce que disait dès le début du XIX siècle Alexander von Humboldt. Humboldt, dans ses dessins, montre que la Terre qui nous intéresse, ce n'est pas seulement la terre profonde avec ses mouvements géophysiques, influencés par les plaques tectoniques, non, c'est surtout la minuscule surface de cette Terre, celle qui a été transformée par l'action des vivants. Ce que vous voyez là, c'est ce que les scientifiques appellent aujourd'hui la zone critique. En vérité, c'est vraiment tout petit, c'est minuscule, pas plus épais que le vernis de cette table, une sorte de biofilm.

C'est une des raisons pour lesquelles nous sommes un peu désorientés ; parce que le mouvement de cette planète n'est plus seulement astronomique ou tectonique. Nous sommes en train de découvrir un nouveau mouvement. 

Qu'est-ce que ce mouvement ? Ce qui bouge, ce qui s'agite, c'est cette minuscule couche de quelques kilomètres produite par les vivants. Et ce qui est assez stupéfiant, c'est qu'il s'agit de la seule chose jamais expérimentée par les vivants. 

Tout le reste, ce qui se trouve au-dessus et en dessous de cette couche, ce sont des constructions magnifiques, mathématiques, physiques, chimiques, dont nous n'avons jamais une expérience directe. Mais notre expérience, notre vie à nous se passe dans cette minuscule petite Terre-là.”

 

Bruno Latour

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Entretien avec Bruno Latour

- Pourquoi insister tellement sur le territoire ?

 

Bruno Latour : Parce que c’est ce qui permet de redéfinir les participants, à condition qu’ils acceptent de se lancer dans la description de ce qui les fait subsister. 

Si l’on ajoute aux organismes ceux qui les font vivre et ce qu’ils laissent derrière eux, on s’aperçoit aussitôt pourquoi la distinction entre un individu et son contexte n’avait guère de sens. L’air que nous respirons, les roches sédimentaires sur lesquelles nous posons nos maisons, le climat des forêts qui nous abritent, l’humus qui permet de planter nos salades, l’eau même qui ruisselle sous terre, sont aussi directement le résultat du travail universel des organismes vivants, que les murs d’une termitière, les galeries d’une taupe, ou la voûte de ciment d’une usine atomique. 

C’est là proprement dit la découverte de Gaïa : on ne comprend pas la vie si l’on se contente de considérer l’organisme sans les conditions d’habitabilité qu’il a légué à ses successeurs —cela est vrai à toutes les échelles, des virus au climat. Les biologistes qui résistent autant à l’idée de Gaïa font comme quelqu’un qui voudrait étudier un termite sans prendre en compte les murs géants d’argile mâchonnée qui sont nécessaire à leur existence qui sont pourtant le produit de leur ingénierie. 

Cela ne veut pas dire que les murs sont « vivants », pas plus que l’oxygène de l’air n’est « vivant », mais que la totalité de ce que nous pouvons observer (en tous cas sur la zone critique — seul milieu auquel les vivants ont accès) est le produit de cette ingénierie par les organismes. Comme on l’a constaté à Saint Junien, cette entrée permet à des enfants de 12 ans de se saisir de Gaïa et de « dessiner » leur planète autrement en s’y insérant de façon beaucoup plus vivante qu’en leur demandant de dessiner la carte de leur territoire). 

C’est ce deuxième élément qui permet de bousculer, finalement de dissoudre, l’idée qu’un territoire serait d’abord une infrastructure matérielle inerte et inhumaine « sur laquelle » serait posée l’action des vivants ou l’intervention tardive des humains. Un territoire, en tous cas une zone critique, c’est en chacun de ses points, le résultat de l’action d’organismes qui ont modelé, modifié, altéré, révolutionné, transformé, amélioré, toujours à l’aveugle, toujours sans en mesurer d’avance les conséquences inattendues, les conditions d’habitabilité de ceux qui, aujourd’hui, y nichent ou qui le parcourent. 

Le territoire a une structure fibreuse, si l’on peut dire, en forme de flux, il est provisoire, labile, mais, par-dessus tout, composite. L’action multiforme des humains ne rompt pas, malgré les apparences, avec le travail de composition des autres vivants. Les bactéries, les herbes, les taupes, les vers de terre, les châteaux, les usines sont d’une certaine façon de même nature — c’est à dire aussi peu « naturelles » les unes que les autres.

Cette saisie du territoire permet aussi d’échapper à la prise « par le haut » comme si nous étions des sujets observateurs en face d’un paysage qui se déroulerait devant nous, et sur lequel nous tenterions de définir un cadre pour « nous localiser » — selon la version GPS de la localisation et bien sûr selon le modèle d’occupation juridique et administratif imposée par l’État qui est à l’origine de cette métrique si particulière. 

Nous sommes dans le territoire, au sens très ouvert que nous branchons nos propres décisions de prolonger, de féconder ou de rendre plus difficiles, voire de stériliser les conditions d’habitabilité constituées par chaque fibre, chaque flux, chaque vecteur qui vient vers nous et que nous infléchissons ou non. Cela est vrai du prolongement d’une haie, d’un rosier, comme celui d’un canal, d’une piste d’aéroport, d’un lotissement, ou d’un affut au sanglier. 

Autre avantage de cette saisie : un territoire urbain est exactement aussi « fibreux » qu’un territoire dit « de campagne » et d’ailleurs aussi hybride malgré l’apparence un peu écrasante des murs et du béton, qui, en fait, ont le même caractère « gaiesque » que les montagnes de craie, ou le bois des forêts. Ils ne sont ni vivants, ni morts, mais les laissés d’une action des vivants qui engagent les suivants. »

 

+ Les artistes explorent de nouvelles formes de représentations visuelles, cartographiques, théâtrales, musicales pour que nous puissions collectivement nous rendre sensible à cette nouvelle matérialité et la métaboliser. 

Le but est de rendre esthétique les phénomènes dans lesquels nous nous trouvons, de développer notre capacité à «percevoir» et à être «concerné» par ces personnages qu'on n'entendait pas ou qu'on ne voyait pas, comme les fleuves, les vers de terres, les virus...

  • Depuis 2016, Bruno Latour a performé trois spectacles conférences : Inside, Moving Earths et Viral en collaboration avec Frédérique Aït-Touati et Chloé Latour et qui sont aujourd'hui réunis dans l'ouvrage “Trilogie terrestre” aux éditions B42. 

 

  • En 2019, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire (membres de Studio SOC) publient avec Frédérique Aït-Touati le très bel ouvrage Terra Forma, Manuel de cartographies potentielles.

 

  • En 2020, Bruno Latour associe des artistes et des scientifiques dont les travaux portent sur la zone critique dans l’exposition Critical Zones, Zentrum für Kunst und Medien de Karlsruhe qu'il est possible de retrouver dans le catalogue d'exposition de référence Critical Zones : The Science and Politics of Landing on Earth.

 

  • En février 2023, Chantal Latour coordonne le spectacle-concert “À l'écoute de la zone critique ; un nouveau monde composite et recomposé” au Collège des Bernardins qui associe le géochimiste Jérôme Gaillardet, le compositeur Jean-Pierre Seyvos, le créateur sonore Olivier Duperron et l'ensemble musical des Épopées.

 

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Entretien avec Bruno Latour

- Pourquoi parler d’engendrement ?

 

Bruno Latour  : " Pour bien marquer le contraste avec la production. « Dans le système de production, le centre de gravité est bien l’humain et sa prospérité. Il y a bien un monde autour de lui dont il dépend, il le sait bien, mais ce monde il le saisit comme « ressources », dont il est soit le maître exclusif — c’est l’extractivisme —, soit dont il est le jardinier, le gérant, le locataire provisoire — c’est l’écologisme responsable standard. Toutefois, si l’on considère les pratiques d’engendrement, on continue à viser l’humain et sa prospérité, mais on passe à travers lui, parce que le centre de gravité s’est déplacé et qu’il se situe derrière l’humain et au delà de lui ; qu’il le localise, le noue, le cible ; qu’il l’oblige à se prendre comme l’un des agissants d’un faisceau de lignées, de réseaux, de trajectoires, dont certaines l’ignorent totalement, dont d’autres sont améliorées prodigieusement par lui, et d’autres enfin qu’il menace ou qui le menace. C’est cette situation, ce ciblage que l’on ressent en subissant l’épreuve de la boussole du consortium. 

Le centre de gravité, l’horizon, la saisie du monde, diffère tout à fait selon que l’on se dit : « Je produis grâce à ces ressources dont je suis responsable et que je dois bien utiliser ». Ou que l’on se présente comme une puissance d’agir située parmi d’autres histoires de genèses multiples, dont chaque fil peut être interrompu, trajectoire après trajectoire, selon les vivants ou les existants pris en compte. Saisi par la production, le jugement c’est de se demander : « Est-ce que je suis assez productif ?», ou « Est ce que je ménage les ressources ? » ou « Est ce que je distribue justement les fruits du travail ? ». 

Inclus dans les pratiques d’engendrement, le jugement c’est de se demander : « Est ce que je suis à la hauteur de l’inventivité et de la durabilité des êtres dont je dépends et qui m’ont collectivement engendré sans le vouloir ? » ; « Quel geste multiplie ou interrompt la succession de ces êtres ? » ; « Comment m’insinuer dans la continuité du temps de Gaïa ? » ; « Comment nouer mes buts à toutes ces lignées qui toutes se cherchent un but ? ». Questions mal formulées bien sûr parce que nous n’avons jamais ainsi vécus. Ou plutôt parce que nous avons oublié que nous avons toujours ainsi vécus... sauf pendant la petite parenthèse de la production moderne."

13 — pause déjeuner

> 1h30

14 — bambous

> 20 min animé par Séverine Lefèvre / Loïc Chabrier

Nous allons poursuivre notre exploration de la zone critique avec un exercice pratique et sensible sur la notion d’enchevêtrement des vivants.

 

+ Chacun.e prend un bambou et tente de le faire tenir à la verticale sur le bout de son index. 

 

  • On peut d’abord essayer en regardant le bambou puis en mobilisant le regard périphérique. 

  • On sent le poids du bambou et on perçoit son centre de gravité auquel notre corps s’ajuste et s’accorde en permanence. On ne bouge pas le bambou, c’est le bambou qui nous fait bouger.

 

+ On se met par deux avec un seul bambou et on garde les yeux ouverts. 

 

  • Le bambou est maintenu par la pression que nous exerçons avec nos index. Avec la tentative qu’il ne tombe pas, l’idée est de maintenir ce lien. Le mouvement du bambou naît des variations de pressions appliquées à ses extrémités, aux actions et réactions des deux index. 

Le mouvement naît par deux personnes à la fois. Il n’y a pas de guide, le mouvement se situe entre les deux personnes. “Je perçois en même temps que j’agis, je compose avec le bambou et la gravité.”

On trouve l’endroit de pression adéquat, nécessaire au maintien du bambou. Cette pression “juste” est constamment changeante. On s’ajuste, on s’accorde. On observe le reste du corps qui s’organise autour de cette attention au bambou. Les deux corps s’organisent l’un par rapport à l’autre en permanence à travers le bambou.

 

+ Qu’est ce que ça fait si on tente d’aller au sol ? Si une seule personne du binôme va au sol ? Si on tente de faire varier les rythmes?

 

+ On tente le même exercice avec les yeux fermés. 

 

  • L’ajustement se fait maintenant sans la vue. Quelles sont les autres perceptions mobilisées ? Qu’est-ce qu’on déploie comme attention supplémentaire et par quels moyens ? 

  • Chacun.e partage à voix haute les sens qu’il identifie : le toucher avec la peau de la pulpe de l’index, les appuis au contact du sol, la proprioception pour me repérer dans l’espace….

  • Est-ce que mon rapport au sol a changé ? De quelle manière mon pied va chercher le contact avec le sol les yeux fermés ? Avec quelle méticulosité ? 

  • Mobiliser aussi l’ouïe pour percevoir les autres binômes et tenter de ne pas s’entrechoquer. La lenteur et la précision se mettent en place et créent un état propre à une plus fine perception des transformations incessantes du mouvement. 

 

+ On change de binôme pour appréhender une nouvelle relation.

 

+ Puis on forme des groupes de trois personnes avec trois bambous et on commence le protocole avec les yeux fermés. 

 

  • On observe ce que cela change d’avoir deux informations distinctes de chaque côté de notre corps. D’être interdépendant de deux personnes, qui sont elles-mêmes dépendantes d’autres personnes. On perçoit la création et l’organisation de ce nouveau réseau que l’on forme à trois. Quelle ouverture, quelle extra-attention cela mobilise ? 

 

+ On tente le même exercice tou.tes ensemble. 

 

  • On expérimente de l’intérieur comment notre corps s’organise : comment des mouvements m’arrivent ? Chacun.e observe comment il/elle est bougé.e par le groupe, et comment, peut-être, je peux faire bouger le groupe ?

  • On mobilise notre sens de la proprioception qui fait partie de notre équipement sensible et qui nous offre la capacité de percevoir les différentes parties du corps dans l’espace. Cela mobilise à la fois les capteurs proprioceptifs présents dans tout notre corps (récepteurs musculaires et ligamentaires reliés au système nerveux qui rendent possible la sensibilité profonde du corps à lui-même), et qui nous informent notamment du contact avec le sol.

 

Tout ceci est rendu possible grâce aux otolithes : concrétions minérales, petits cristaux qui sont dans notre oreille interne et qui nous permettent de trouver l’équilibre.

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Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Image extraite de Terra Forma ; Manuel de cartographies potentielles de Fréderique Aït Touati, Alexandra Arènes, Axelle Grégoire. Editions B42, 2019. Pour en savoir plus : https://www.ecolecamondo.fr/bibliotheque-et-recherche/videos/terra-forma/

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

Bambous, proposé par S-Composition - Consortium Où atterrir ? en 2019-2021 - Créative Communs - Licence 4 CC BY-NC-SA

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15 — introduction aux équipements physiologiques, sensibles et scientifiques des vivants

> 20 min animé par Maëliss Le Bricon

 

Chaque vivant possède un équipement physiologique et sensible qui lui permet d’avoir une perception tout à fait singulière de son terrain de vie. 

Selon Jakob Von Uexküll qui introduit la notion d’Umwelt, les animaux vivent dans des mondes vécus, sensoriellement singuliers en fonction de leur équipement et dans lequel les choses n'existent que si elles ont une signification.

 

 Si on réunit un chien, une mouche et un homme dans la même chambre, il n’auront pas la même perception de la pièce. L’équipement visuel, olfactif et sensoriel n’est pas le même et surtout ils n’ont pas les mêmes intérêts.

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Dans le cadre des enquêtes que nous menons chacun.e sur notre terrain de vie, nous essayons de “déplier” chaque entité pour remonter le fil qui lui permet de tenir : “De quoi dépend cette entité pour se maintenir dans l’existence ?”

Un réseau d’acteurs se tisse et révèle le maillage des relations autour de mon concernement qui compose mon terrain de vie.

 

Chaque enquête est profondément singulière car elle se déroule sur le terrain de vie de l’enquêteur. Comme il y a une multiplication, une diversité très riche de manières d’être vivant, chaque enquête est comme un monde presque de science-fiction. Même si nous sommes confinés dans la zone critique, il y une multiplicité de mondes à explorer avec chaque terrain de vie, qui est différent du nôtre.

 

“C’est quoi habiter un monde de Loïc ? C’est quoi habiter un monde de Julie ?”

 

Ensuite, nous allons mobiliser tout notre équipement sensible et physiologique pour développer notre capacité à nous rendre sensible, déployer notre acuité, notre attention et notre écoute. Chacun.e va habiter l’espace, grâce à son équipement, ses intérêts et à sa singularité : nous allons multiplier les mondes pour les partager au groupe.

16 — leader-ombre

> 10 min animé par Séverine Lefèvre / Loïc Chabrier

 

+ On se met en binôme et on se répartit les rôles, un leader et une ombre.

 

  • Le leader réinvestit l’état de corps traversé en début d’atelier, il se laisse traverser par l’air, puis bouge l’air et enfin prend appui sur l’air et cultive son univers singulier. Il est à l’écoute de ce dont il a vraiment envie là, maintenant, sans se préoccuper du fait qu’il soit suivi. 

  • L’ombre se place derrière le leader et le suit. Elle travaille sa capacité d’écoute, d’adaptation et de curiosité, elle mène une enquête corporelle par rapport au corps de l’autre. 

L’objectif de l’ombre est de découvrir une autre dynamique, un autre état d’esprit, une autre corporéité, une autre présence à soi-même, en se rendant disponible à l'univers de l'autre et à sa manière de l’habiter.

 

+ On change les rôles pour travailler alternativement les capacités d’écoute et de disponibilité et de curiosité.

17 — pause

> 10 min 

18 — mener l’enquête avec ses sens : cultiver l’écoute avec les oiseaux

> 10 min animé par Maëliss Le Bricon

Nous allons poursuivre notre exploration sensible avec l'ouïe à partir des travaux de la philosophe Vinciane Despret et du compositeur Bernard Fort. 

 

+ Vinciane Despret raconte le chant du merle et du bouleversement qui la traverse à son écoute, car quelque chose alors importe plus que tout. La philosophe nous invite à prendre goût à l'écoute et à nous rendre sensible aux choses qui importent pour d'autres.

 

“Qu'est-ce que le son change de notre rapport au monde ? Quand vous êtes dans le visuel, vous êtes dans l’ordre de la certitude, “il faut le voir pour le croire” ; alors qu’avec un son, il y a une énigme qui se crée, le son vous pousse à aller voir, à aller voir plus loin, il vous met en quête. 

Il y a une grande différence entre la vérité visuelle et la vérité sonore. La vérité visuelle est une vérité référentielle : je vois cette chose et je sais ce à quoi elle réfère, on est dans l'ordre de la vérité, et il y a une certitude qui va s'installer. 

Alors que si j’entends un oiseau chanter, on est dans une vérité générative, c’est-à-dire une vérité qui doit se mettre en quête de plus de réel : je ne sais pas où est cet oiseau, je ne sais pas qui il est, peut-être que je le saurai parce que j'apprends à le reconnaître… 

D'une certaine manière, la quête de son est une quête de curiosité qui respecte d’une certaine manière le fait qu’on ne sait pas tout et qu’on n’a pas accès à tout. Alors que le visuel nous donne une espèce de primauté d’accès, on est presque maître dans la demeure dans le visuel, alors que dans le sonore on doit rester des apprentis.”

 

+ Avec les bambous, l’écoute était générée par le toucher ; on va maintenant cultiver notre disponibilité et notre attention avec notre ouïe avec Bernard Fort, compositeur qui collecte les chants d'oiseaux. 

 

  • Nous vous proposons d'écouter l'enregistrement du chant d’une mésange charbonnière que Bernard Fort a ensuite ralentie. Pourquoi ralentir le chant ? Étudiant, Bernard Frot a rencontré dans son parcours un enseignant qui leur avait fait écouter une symphonie de Mozart : d'abord accélérée puis contractée en une seconde, ce qui avait alors donné un bruit bref, comme un craquement. 

Depuis, Bernard Fort développe sa recherche sur les sons qu’ils enregistrent et qu’il ralentit pour en découvrir la symphonie. 

 

+ Nous allons découvrir ensemble le ralentissement d’un chant d’une mésange charbonnière par Bernard Fort pour en découvrir l’épaisseur.

 

 

 

+ À partir de cette expérience auditive, nous éveillons et cultivons notre curiosité pour enrichir l’enquête que nous menons sur notre terrain de vie. 

Quand je place une entité sur ma boussole et que je la déplie de manière oligoptique, combien d’autres entités vont être générées ? Je grandis mon attention pour déplier et décrire : de quoi dépend cette entité ? Combien d’autres entités va-t-elle générer si je la déplie ? Qu'est-ce que je vais y découvrir ?

Je retrouve ainsi, entité par entité, ce qui importe pour moi et ce pour quoi je suis prêt à m'exprimer. 

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Dans le cadre des enquêtes que nous menons chacun.e sur notre terrain de vie, nous essayons de “déplier” chaque entité pour remonter le fil qui lui permet de tenir : “De quoi dépend cette entité pour se maintenir dans l’existence ?”

Un réseau d’acteurs se tisse et révèle le maillage des relations autour de mon concernement qui compose mon terrain de vie.

 

Chaque enquête est profondément singulière car elle se déroule sur le terrain de vie de l’enquêteur. Comme il y a une multiplication, une diversité très riche de manières d’être vivant, chaque enquête est comme un monde presque de science-fiction. Même si nous sommes confinés dans la zone critique, il y une multiplicité de mondes à explorer avec chaque terrain de vie, qui est différent du nôtre.

 

“C’est quoi habiter un monde de Loïc ? C’est quoi habiter un monde de Julie ?”

 

Ensuite, nous allons mobiliser tout notre équipement sensible et physiologique pour développer notre capacité à nous rendre sensible, déployer notre acuité, notre attention et notre écoute. Chacun.e va habiter l’espace, grâce à son équipement, ses intérêts et à sa singularité : nous allons multiplier les mondes pour les partager au groupe.

19 —  cartographie de la boussole

> 25 min animé par Maëliss Le Bricon et Loïc Chabrier

 

+ On commence par remplir les entités en bas de la boussole qui correspondent à la situation actuelle :

 

  • le concernement : au centre 

  • les entités qui menacent le concernement : en bas à gauche

  • les entités qui maintiennent le concernement : en bas à droite 

 

+ On ajuste la position de chaque entité, en fonction de son action et de son degré d’intensité (faible menace, maintient important…). Plus l'intensité est élevée, plus l’entité se trouve proche de la ligne horizontale de la boussole.

 

+ Enfin, on positionne chaque entité en fonction du degré de proximité que l’on entretient avec elle, c’est-à-dire si elles sont ou non à ma portée. Si je peux les contacter ou échanger avec elles autour d’un café, elles se trouvent dans le cercle intérieur. Si ce n’est pas le cas, les entités sont hors de portées et se situent dans le cercle extérieur.

Texte de Bruno Latour sur le processus de dépliage de l’enquête 

“ Dans le dépliage de l’enquête, on retrouve un point de théorie très important qui est au cœur de notre affaire : surtout ne pas faire de remplissage, ne pas supposer d’avance l’existence d’un monde plein et connu dans lequel chaque récit viendrait s’insérer comme une pièce de puzzle dans un ensemble cohérent. Les récits sont incohérents et doivent le rester aussi longtemps que possible tant qu’il n’y a pas eu de composition de proche en proche des enquêtes. 

C’est ce qui justifie le fait de toujours passer par une phase écrite — une habitude bien connue des ateliers d’écriture — et de respecter scrupuleusement ce qui est inscrit sans y substituer aussitôt le monde connu et complet qui serait « derrière » ce récit partiel — un point essentiel de l’acteur-réseau. C’est cette pression énorme, écrire et ne pas se précipiter pour expliquer que le récit se trompe ou est partiel, qui permet de court-circuiter l’inévitable tendance à la discussion, à l’interprétation : chaque récit se place dans son propre monde et selon sa propre logique aussi longtemps qu’il le faudra. Cela paraîtrait bizarre s’il s’agissait de répondre à une situation connue, mais c’est ce ralentissement qui devient essentiel pour aborder la mutation climatique pour laquelle personne ne dispose tout fait sur étagère ni des sujets, ni des affects, ni des comportements, ni des institutions pertinentes.

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Images de Von Uexküll extraites de la présentation de Bruno Latour à La Mégisserie dans le cadre du projet-pilote "Où atterrir ?", février 2019.

Leader-ombre, créé par Siti compagnie et proposé par S-Composition- Consortium Où atterrir ? dirigé par Bruno Latour en 2019-2021 - Créative Communs - Licence 4 CC BY-NC-SA

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

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20 —  activation et partage de la boussole

> 25 min animé par Maëliss Le Bricon et Loïc Chabrier

 

La règle d’or à laquelle on se tient en atelier et jusqu’à la fin de l’expérimentation : 

on ne donne jamais son opinion, on ne discute pas, on ne rebondit pas.

+ On se met par deux ou trois à une table avec un membre de l’équipe.

 

+ Pendant 8 minutes, le/la citoyen.ne-expert.e active sa boussole, c'est-à-dire qu’il/elle positionne une à une, chaque entité sur la boussole et décrit à chaque fois l’action et la position : 

  • Qui ou quoi ? 

  • Par quelles actions est-ce que cette entité menace ou maintient le concernement ? 

  • Quels sont ses coordonnées sur la boussole ? Quelle proximité ? Quelle intensité?

 

+ Les participant.es écoutent la description du terrain de vie qui se déploie devant eux ; sans jamais commenter, rebondir ou discuter. Les membres de l’équipe veillent à ce que chacun.e respecte la règle d’or. 

 

+ On échange les rôles jusqu’à ce que tout le monde ait activé sa boussole, participant.es et membres de l’équipe compris.es. 

 

+ A la fin du protocole, on enroule nos boussoles pour continuer à mener l’enquête chez soi.

NE PAS FAIRE DE REMPLISSAGE S’IL N’Y A PAS DE MONDE COMMUN IL N’Y EN A PAS - point dogmatique de Bruno Latour

" La tentation, celle à laquelle on nous demande de résister de toutes nos forces, c’est de se passer de l’un ou l’autre des participants (« pourquoi devrais-je écouter cet éleveur qui n’est pas comme moi un écologiste engagé ? »), ou, encore plus tentant, de remplacer les termes exacts utilisés par d’autres, ce qui rendrait le monde un peu plus lisse et plus cohérent (« Mais enfin, comment prendre au sérieux quelqu’un qui parle de sauver la ‘planète bleue’, comme s’il y connaissait quelque chose ? »). Et pourtant, essayons de ne pas remplacer un terme par l’autre. Ne faisons pas de remplissage. N’essayons pas de faire croire que nous sommes dans un monde unanime dont nous aurions la clef. Ce que chacun a choisi d’inscrire décide, pour l’instant, de son monde — et donc, forcément, par ricochet, du mien. « Ce qui est écrit est écrit ». En tous cas, on a changé de point de départ. (origine savante : ethnométhodologie, sémiotique, pragmatisme)."

​​Activation et partage de la boussole créé par le Collectif RIvage en 2021-2023 - Créative Communs - Licence 4 CC BY-NC-SA

Extrait du rapport d'activité du projet-pilote mené par le Consortium "Où atterrir ?" dirigé par Bruno Latour en 2019-2021. 

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